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L'enfant survivant de la virée de Galerne



Passage de la Loire à Saint-Florent-le-Vieil les 18 et 19 octobre 1793 (détail)


Au printemps 1793, dans l'ouest de la France éclatent des troubles connus sous le nom de Première Guerre de Vendée. Après un printemps et un été ponctués de victoires éclatantes (excepté Nantes), l'automne s'avère beaucoup complexe pour les insurgés. Ainsi, le 17 octobre, les armées Vendéennes connaissent une sévère défaite près de Cholet et il est alors funestement décidé de franchir la Loire. L'objectif est de prendre un port permettant aux alliés anglais et à l'armée des Prince de les rejoindre dans la lutte. Plusieurs dizaines de milliers de civils suivent l'armée Royaliste dans ce qui est nommée la Virée de Galerne. Malgré de belles victoires leur permettant notamment de prendre Laval le 22 octobre, et les ayant porté jusqu'à Dol, cette virée se termine tragiquement le 23 décembre à Savenay. Les restes de l'armée sont écrasés et de nombreux civils sont décimés. De près de 80 000 Vendéens ayant traversé la Loire en octobre 1793, selon les estimations, à peine 4 000 retrouvent leurs foyers [1].

Grâce aux dossiers de demandes de pension d'anciens combattants ainsi que de veuves conservés aux archives des Deux-Sèvres en série R, voici l'incroyable histoire du jeune poitevin Jean Allard qui, à l'âge de douze ans, suivit l'Armée durant cette virée de Galerne [2].





Un an après le mariage de ses parents aux Moutiers-sous-Argenton, Jean Allard naît à Saint-Sauveur-de-Givre-en-Mai en septembre 1782.

Acte de baptême de Jean Allard (Ad 79, Saint-Sauveur de Givre en Mai , 1767-1790, cote E DEPOT 139 / 2 E 286-2)

Il y passe sa prime enfance, aîné d'une fratrie de cinq, dont seuls trois survivent [3]. Leur mère Louise Courjault décède des suites de couches le 3 septembre 1790, et est inhumée le cinq en présence de son époux, René, et de ses trois frères François, Pierre et Louis [4]. L'année suivante, René Allard, exerçant alors le métier de journalier à Saint Sauveur, se remarie avec Marie Ancelin fileuse de lin [5]. En 1793, Jean vit-il encore chez son père ou est-il placé comme domestique ? Ce que nous savons c'est qu'en octobre il accompagne trois de ses oncles, certainement François, Pierre et Louis Courjault, outre Loire dans la virée de Galerne. Il faut préciser, que hormis les proches des généraux Lescure et La Rochejaquelein, peu de de poitevins y prennent part [6].


Il est blessé d'un coup de sabre dans "l'affaire qui eu lieu près de laval" comme il le déclare dans sa demande de pensions datant de 1824. Il y précise :

"(...)

1e - qu'il a suivi l'armée Royale vendéenne qui a passé la Loire, Et qu'après, quand cette armée fut écrasée par l'ennemi, il a été blessé à la tête par un coup de sabre ; n'ayant en ce moment que douze ans, et ne reconnaissant personne, il fut accueilli par une âme charitable du pays au dela de la Loire qui le soigna, et chez qui il est resté près que quatre ans, ignoré de sa famille. Apprès cela, ayant entendu parler que le pays de la Vendée était tranquille, il prit le parti de se rendre en son pays ou il surpris beaucoup sa famille qui le croyait mort.

2e - trois de ses oncles qui avaient passé la Loire avec lui sont morts dans les combats et un quatrième est mort dans les prisons

3e - ses père et mère ont tout perdu leur mobilier par le pillage.

(...)".



Lors de la bataille de Laval, la population locale qui est alors favorable aux Vendéens, leur fournit vivres et abris, et de nombreux renforts les rejoignent notamment Jean Cottereau dit Jean Chouan et le chevalier de Boisguy...


La Marquise de la Rochejaquelein indique ainsi dans ses mémoires :

"Nous fûmes très bien à Laval; cette ville est grande, les habitants nous firent bon accueil. Beaucoup de paysans vinrent nous rejoindre; j'en vis moi-même arriver une troupe, au cri de Vive le Roi ! avec un mouchoir blanc au bout d'un bâton. Nous reçûmes, tant à Laval qu'à Fougères, six mille Bretons environ. Tout le pays était aristocrate, cependant il ne se soulevait pas, les jeunes, paysans seulement venaient à nous. On appela ces recrues la petite Vendée ; on les reconnaissait à leurs habillements noirs, ou en peau de chèvre, le poil en dehors ; ils portaient les cheveux très longs sur les épaules. Ils se sont fort distingués par leur bravoure, mais beaucoup nous quittèrent successivement" [7].


Quelques semaines plus tard, après la terrible bataille du Mans des 12 et 13 décembre 1793 et la déroute qui s'ensuit, les restes de l'armée et les civils Vendéens harassés, blessés et malades se dirigent de nouveau vers Laval poursuivis par Westermann massacrant les retardataires. La marquise de la Rochejaquelein, toujours dans ses mémoires, écrit :


" Beaucoup se cachèrent sur la route du Mans à Laval, presque tous les paysans étaient royalistes secrets. [...] Nous arrivons à Laval, épuisés de fatigue, de chagrin, ayant perdu tous nos bagages et presque tous nos canons ; nous trouvons la ville sans défense, nous y restons un jour franc. [...] Les pays que nous traversions ne s'insurgeaient pas, et notre armée, épuisée de fatigue et de faim, toujours combattant, traînait avec elle, au milieu de l'hiver, une foule de blessés, de femmes et d'enfants ; ainsi, cette déroute ne fut que la suite nécessaire de notre position nous l'attendions depuis Angers, comme une chose inévitable. Le découragement, porté à son comble, augmentait encore la certitude de notre perte. [...]"


Il n'est pas possible de savoir exactement à quel moment Jean Allard est blessé. Il précise toutefois qu'il a suivi l'armée Royale vendéenne qui a passé la Loire "qu'après, quand cette armée fut écrasée par l'ennemi, il a été blessé à la tête par un coup de sabre" pouvant peut-être laisser sous-entendre que c'est au retour... et toujours selon lui comme indiqué précédemment à "l'affaire qui eu lieu près de laval" . Cette blessure aurait pu être fatale. Car en 1824, le chirurgien, qui examine sa cicatrice, indique qu'elle était " de deux pouces de long sur le sommet de la tête qu'il a dit être faite par un coup de sabre lui ayant occasionnés des douleurs de tête considérables".


Si nous pouvons supposer que les trois oncles décédés outre Loire sont les frères de sa mère, qu'en est-il de celui "mort dans les prisons " ?

Est-ce son oncle paternel François Allard, bordier à Faye l'Abbesse qui s'était marié à Chiché en 1787 ? Ce François Allard est déclaré au mariage de sa fille en 1813 "décédé dans la commune de Saint-Porchaire en mil sept cent quatre vingt treize, auquel décès il ne fut pas dressé d'acte civil (...) [8]. Par expérience, j'ai remarqué que, faute de registres, les lieux et dates de décès déclarés sont quelquefois erronés, est-ce le cas ici ? Car en 1793, un François Allard est jugé et exécuté à Niort pour être "entré à Chiché en criant : vive le roi, vive Louis XVII et a engagé les habitants à se joindre à lui, dénoncé par Desmares, commandant de l'armée de Bressuire. Condamné à mort. (G. R. II.)

Exécuté à Niort le 22 frimaire an II. (12 décembre 1793). [A. M. Niort.) Même jour."[9]


La copie de son acte d'accusation précise que le dit Allard est :

"(...) convaincu d'avoir pris part aux révoltes et émeutes contre-révolutionnaires qui ont désolés no contrées comme chef des instigateurs des révoltés, en forçat les habitans de chiché, de prendre les armes et de s'incorporer avec les révoltés, et d'avoir monté lui même la garde et d'avoir forcé par menaces les habitans a la montée sur les chemins ou les troupes de la république devaient passer; d'avoir dans les bois d'amalloux (Amailloux) dans les premiers jours d'octobres dernier, tiré divers coups de fusils sur les Soldats de la république, d'avoir a différentes fois crié à Chiché a haute voix Vive le Roi, louis Dix Sept. et engagé par les habitans a la contre révolution (...) [10].


L'acte de décès de l'exécuté est indiqué au prénom de Charles, âgé de 37 ans, le faisant naître vers 1756. Précisons qu'il est indiqué François sur la table du registre. Notons que l'oncle de Jean Allard, quant à lui, est né en juin 1755.



Selon ses indications, Jean Allard reste près de quatre ans chez la personne qui l'a recueilli, laissant supposer qu'il revient dans sa région natale en 1797, à l'âge approximatif de 16 ans. A son retour, il ne reconnaît certainement pas son pays d'enfance, mais il a la chance de retrouver sa famille composée de son père, sa belle-mère, son frère et sa sœur de deux et six ans ses cadets. Habitent-t-ils encore à Saint-Sauveur-de-Givre-en-Mai ? En 1794, la commune ayant été en partie détruite ; de nombreuses maisons, logis et même la maison curiale sont en ruine [11].

Son père, lors du mariage de Jean, demeure à Faye l'Abbesse et y exerce le métier de jardinier. Il y décède ainsi que sa seconde épouse respectivement en 1814 et 1818. Jean devenu domestique à Terves, se marie en 1807 avec Jeanne Louise Guérin. Ils résident à Faye l'Abbesse, Noirterre , puis à La Chapelle Gaudin notamment aux Loges [13] .


Notons que Jean Allard déclare avoir fait partie des rassemblements qui ont eu lieu en 1815.

Recensement de la La Chapelle Gaudin en 1836 (AD79 6M

Jean, l'enfant rescapé de la Virée de Galerne, meurt le 17 juin 1871, à l'âge canonique pour l'époque de 89 ans (91 selon l'acte de décès).


Acte de décès de Jean Allard (Ad 79, Noirterre, registre des décès, 1836-1855, cote 4 E 200/15)

En conclusion, notons que Jean Allard n'était pas le seul habitant de Noirterre qui, enfant, fut sabré par les Républicains. Ainsi un Louis Jean Brureau, né lui aussi en 1782 fut selon sa demande de pension blessé d'un coup de sabre à l'affaire de Beaulieu en 1794 :


"qu'il ne pouvait porter les armes en 1793 vu qu'il était trop jeune alors, mais qu'il a été blessé à la tête d'un coup de sabre qui lui donna un soldat républicain, au moment ou il se sauvait de l'ennemis, qui poursuivait ses compagnons d'infortune, et cela près le chef lieu de la commune de Beaulieu en 1794. Cette blessure lui cause de fréquent maux de tete qui quelquefois l'empèche de de travailler, il se montre infirme ne marchant que difficilement

2e - qu'il a perdu dans la révolution un oncle de qui il espérait beaucoup qui a été emmené dans les prisons de Saumur où il est mort et son grand père qui a été massacré chez lui

3e - ses père et mère étaient bordier dans la commune ayant été obligé d'abandonner & leur endroit ils ont tout perdu par le feu et le pillage

(...)

5e - il a aussi fait partie des rassemblements qui ont eut lieu en 1815 aux aubiers et autres lieux (...)" [14].


Ces dossiers de demandes de pension, non seulement nous permettent de connaître les carrières des combattants Vendéens, ils nous montrent aussi toute l'horreur de cette guerre fratricide.


Christelle Augris

 

[1] Les chiffres peuvent diverger selon les chercheurs. Jean Clément Martin dans les Vendéens (Puf, 2022) indique que 60 000 à 80 000 traversèrent la Loire, dont 20 000 hommes armés (mais seulement un noyau de de 3 000 à 5 000 sachant vraiment se battre. L'armée était accompagnée de 30 000 à 4 000 blessés, vieillards, femmes et enfants. Seuls 3 000 à 5 000 réussirent à passer la Loire. Des autres survivants faits prisonniers, peu eurent la chance d'éviter la mort.

[2] Archives des Deux-Sèvres série R Guerres et affaires militaires. Sous-série R secours aux anciens combattants, R 69 -11 - Dossiers individuels Neuvy-Bouin à Nueil-sous-Les-Aubiers (1815-1826) - mis en ligne sur Geneanet https://www.geneanet.org/registres/view/310452- Dossier Jean Allard f°169 à 178

[3] On connait de ses grands-parents Nicolas Allard et Jacquette Boulard de Saint-Sauveur de Givre en Mai(79), trois enfants : Marie (1749-1750) ; François (1750-1793/94) et René, le père de Jean. René, né le 15 octobre 1751 à Saint-Sauveur un temps jardinier, se marie une première fois le 31 octobre 1781 aux Moutiers sous Argenton (79) avec Louise Courjault, fille de Mathurin Courjault et Marie Berthelot. Ils eurent cinq enfants tous nés à Saint-Sauveur : Jean (1782-1871) ; François (1784-) ; Marie-Jeanne (1788-1871) ; Madeleine (1786-1787) ; fille (1790-1790). Son frère François épouse le 9 novembre 1811 à Noirterre Marie Louise Desaivre. Sa sœur Marie Jeanne Marguerite Allard, née le 2 janvier 1788, se marie le 8 juin 1818 à Saint-Loup-Lamairé, avec Jacques Besseron où elle fonde une famille et y décède le 14 juillet 1871 peu de temps après son frère aîné.

[4] Mathurin Courjault, laboureur, épouse le 5 juillet 1746 à La Chapelle-Gaudin (79) Marie Esnon. De ce couple : Mathurin (né à la métairie de la Lionnière en 1747) ; Jacques et Marie jumeaux nés en 1749 (Marie décède deux mois plus tard toujours à La Chapelle Gaudin). Marie Esnon décède le 3 juin 1751 à La Chapelle-Gaudin ; Mathurin se remarie le 4 juin 1754 toujours à La Chapelle-Gaudin avec Marie Berthelot qui donne naissance à : Toussaint (1770-1770) ; Louis qui épouse le 31 octobre 1781 à La Chapelle-Gaudin ; Marie qui épouse le 4 novembre 1785 au Moutiers-sous-Argenton (79) Jean Gazeau. Mathurin Courjault est aussi père de Jean époux de Catherine Noleau, François époux de Françoise Renaudin habitant aux Moutiers sous Argenton.

Marie Berthelot décède à la Chapelle Gaudin le 6 novembre 1781 (témoins : son époux, François et Marie ses enfants) ; Mathurin Courjault bordier décède le 7 mars 1785 aux Moutiers-sous-Argenton à environ 74 ans (témoins ses enfants François (qui signe), Pierre, Louis, Louise, Perrine et Magdeleine).

[5] René se marie avec Marie Ancelin vers le mois de mai 1791 (AD 79, bureau de Bressuire, table des contrats de mariage 1788-1816, 3 Q 4/117, Cm du 4 mai 1791 devant Mériaudeau notaire). René décède à Faye l'Abbesse le 21 janvier 1814.

[6] Voir à ce sujet, la carte de l'article La Virée de Galerne, une expédition très angevine posté par Nicolas Stofflet le 9 mai 2020.

[7]Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, éd. originale publiée sur son manuscrit autographe par son petit-fils , Paris, 1889, (f 356-357)

[8] Archives des Deux-Sèvres, commune de Faye-l'Abbesse, actes de mariages 1803-1835 (4 E 120/5), mariage de Marie Henriette Allard le 12 juin 1813 avec Jean Baptiste Chessé. Elle est née dans cette commune le 18 novembre 1788, enfant de François Allard et de Marie Chauvillon. Son père, fils de Nicolas et de Marie Boulard et frère de René, est né le 23 juin 1755 à Saint-Sauveur de Givre en Mai. Veuf de Marie Faucon, il avait épousé le 12 juin 1787 à Chiché Marie Chauvillon. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k69227z

[9] Antonin Proust, La Justice Révolutionnaire à Niort, 2e édition, 1874, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6214810b

Précisons qu' à Chiché, se trouvait le couple François Allard et Perrine Créon (Decréon) ayant un fils François né le 4 avril 1790 qui à son mariage le 8 août 1813 à Chiché, est indiqué que son père est décédé "pandant la guerrer la Vandée".

[10] AN BB3/15-13 - consultable sur le site des archives de Vendée

[11] Archives des Deux-Sèvres, 1M607 -1808 - 1816 commune de saint Sauveur

[13] Jean Allard épouse le 11 novembre 1807 à Terves (79) Jeanne Louise Guérin. Ils eurent au moins : à Saint Sauveur : Jean (1808-1879) ; à Noirterre : Rose Marie(1815-1815) ; Marie Jeanne (1816-1883) ; Rosalie Jeanne (1819-1873), Marie Geneviève (1820-1846) ; Pierre Désiré (1823 ; à La Chapelle Gaudin Louise Apolline (1826-1849) ; Marie Anastasie (1829) ; Constant (1830)

Archives des Deux-Sèvres série R Guerres et affaires militaires. Sous-série R secours aux anciens combattants, R 69 -11 - Dossiers individuels Neuvy-Bouin à Nueil-sous-Les-Aubiers (1815-1826) - mis en ligne sur Geneanet https://www.geneanet.org/registres/view/310452- Dossier Brureau Louis Jean f°225 à 234




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