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La disgrâce du général d'Autichamp

Ce texte est celui d'une conférence donnée par Frédéric Augris le 15 janvier 2000 à Nantes.

Charles D'Autichamp est un personnage historique complexe. Pourtant, depuis deux cent ans, il fut régulièrement abordé par les historiens spécialistes de la contre-révolution, mais souvent avec des erreurs… Alors que savait-on de Charles d'Autichamp il y a peu encore ? • Naissance à Angers le 8 août 1770. • Officier des gardes du Roi. • Participa à la défense des Tuileries le 10 août 1792, où il aurait manqué d'être tué.

• Juin 1793 : rejoint l'armée Vendéenne où il devint second du général Bonchamps (qui commandait les divisions de la rive gauche de la Loire en Anjou). • Il porta l'ordre ultime de Bonchamps mourant à Saint-Florent-le-Vieil le 18 octobre 1793 : "Grâce aux prisonniers". • Héros de la "Virée de Galerne" (exode de près de 80 000 personnes de la Loire vers la Normandie, à la fin de 1793. Périple sanglant jalonné de violentes batailles). Il fut capturé en décembre 1793 lors de la bataille du Mans. Parvint à "sauver sa tête" en s'enrôlant dans l'armée Républicaine. • Eté 1795: de retour en Vendée militaire, aux côtés du général Stofflet. • Succéda à Stofflet au grade de Général en chef de l'armée d'Anjou mais capitule en 1796. • Reprit les armes en 1799, en 1815, et en 1832 avec la Duchesse de Berry. • Mort au château de La Roche-Faton (Deux-Sèvres) le 6 octobre 1859 à 89 ans.  Voici donc résumé, à gros traits, ce que l'on savait de Charles d'Autichamp ; personnage qui, pour de nombreux historiens, reste une grande figure des Guerres de Vendée. Et sur ce dernier point difficile de les démentir.  En 1887 par exemple, Edmond Biré écrivit dans son article consacré à d'Autichamp dans "Généraux et chef de la Vendée Militaire et de la Chouannerie" (Paris - Bretaux-Bray libraire-éditeur) :

"Brave, humain, désintéressé, inébranlable fidèle, le Comte d'Autichamp est la plus complète personnification de la Vendée, dont il a partagé les destinées jusqu'au dernier jour. De 1793 à 1832, il prit part à toute les luttes, il n'a été étranger à aucune de ses gloires. Noble et admirable vie qui se peut renfermer toute entière en deux mots, les plus beaux, il est vrai, de notre langue : Honneur et Devoir !"  Passons sur l'emphase typique des historiens du XIXème siècle, plus soucieux de légendes, d'images d’Épinal, que de véritables faits historiques.

Charles D'Autichamp

 Malheureusement, au vu de certains documents inédits pour la plupart, ce portrait idyllique vacille…   De nos jours, la participation de ce général Vendéen au combat des Tuileries est déjà discutée par certains historiens, de même que, par exemple, les circonstances de sa capture au Mans…

Pour ma part, je vais m'attarder sur un moment précis de sa carrière que je nommerai "L'après-1800".  En 1799, Charles d'Autichamp prit les armes lors du soulèvement entré dans l'Histoire sous le nom de "Troisième guerre de Vendée". Insurrection brève qui se termina par la signature du traité de Montfaucon le 18 janvier 1800. Traité que d'Autichamp ratifia.  Or cette signature allait avoir de lourdes conséquences sur sa carrière… Une lettre, écrite en deux fois et qui porte donc deux dates (13 et 25 mai 1800), est aujourd'hui conservée au ministère des Affaires étrangères à Paris (Mémoires et document – France - 5MD/598). Ce document est de la main du marquis Jean François d'Autichamp, l'oncle du général Vendéen. C'est un Émigré qui, en 1800, était au service de la Russie. La lettre en question fut rédigée à Riga en Lettonie et était destinée au Comte Antoine d'Autichamp, le père du général :

"Vous n'avez pas ignoré, mon cher frère, les circonstances qui m'obligent à quitter la Russie, j'espérais en m'en éloignant aller retrouver tout ce qui m'est cher, et la douceur de ce rapprochement eut fort allégé ce que ma position a de pénible car je reste sans ressources ; au moyen des bonté du Roy et de la bienveillance de Monsieur auquel sa majesté avait bien voulu écrire fortement en ma faveur j'aurais pu me flatter de retrouver les secours du gouvernement Anglais sans lesquels il m'est impossible de vivre, mais quelque nescessaire que me soit cette ressource j'ay du la sacrifier aux circonstances, et je vais vous conter ce qui m'empêche d'aller la solliciter. J'ay su d'une manière très positive à Mittau que toutes les relations qui arrivaient d'Angleterre blamaient extremement la conduite de Charles, qu'on luy reproche (j'espère encore très injustement) d'avoir fait sa paix le premier de tous les chefs vendéens, on ajoute même qu'il a entraîné celles de Scépeau, Chatillon, et Suzanet, on se plaint moins de M de Bourmont qui n'a traité qu'après avoir été abandonné par ceux que je viens de vous nommer, et après avoir été battu, on n'approuve bien positivement que Ms Froté, George et Mercier, on plaint le premier qui a été victime de son zelle, et tous s'accorde à faire les éloges des deux autres, de sorte que le blame et le premier des tords tombe sur votre fils (…)"  L'auteur rappelle alors les hauts principes d'honneur et de gloire qu'il pensait être ceux de son neveu et ajoute :

"(…) Jusqu'à ce que je sois pleinement eclarcy, mon cher frère, de tout ce qu'il est si important pour moy de savoir je n'ay pu me determiner a aller à Londres, il est possible que Charles soit coupable, je le craint (…) j'en suis profondement et douloureusement affecté, mais nous devons vous et moy en avoir des preuves incontestables avant de cesser de le deffendre et nous luy devons, comme à nous, d'employer tous les moyens de luy conserver une réputation (…) et quelque tendresse que je luy porte j'aurais appris avec moins de peine que je n'en ressent qu'il eut péri victime de son dévouement et de son zelle ; personne ne doit plus que vous être au courant de la conduite qu'a tenu votre fils, ou est-il, que fait-il, vous a-t-il donné de ses nouvelles, est-il vray qu'il a été à Paris après sa paix, qu'il y a été bien accueilly de l'usurpateur, qu'il s'accomode d'en être bien traîté, que ceux qui l'avaient choisis pour chef, et avaient mis en luy leur confiance ayent changé d'opinion et ne le regardent plus que comme un homme qui ait manqué a ses devoirs (…)"   On est loin de l'image d'un Charles d'Autichamp contraint de signer la Paix, faute de combattants et face à la défaite, propagée par les historiens du XIXème siècle… Mais si cette lettre témoigne des rumeurs de l'époque et ne fait que rapporter des "on-dit" ; elle doit nous pousser à nous interroger sur les événements qu'elle évoque. Et si d'Autichamp n'avait pas signé la Paix de Montfaucon sous la contrainte et avait au contraire poussé ses compagnons d'armes à capituler ?  En vérité, ce n'est pas vraiment un secret de nos jours. On sait désormais que d'Autichamp signa la Paix sans regrets et qu'il poussa effectivement ses camarades à en faire de même. Est-ce vraiment répréhensible ? Il était vaincu et ses hommes déposaient les armes massivement. Un général ne peut continuer le combat dans de telles conditions… Mais le véritable intérêt de la lettre est de nous expliquer que finalement la paix s'est faite contre l'avis des Princes. Ce point-là est moins connu et est d'autant plus important pour la compréhension des événements, que le soulèvement s'était fait à leur demande… Doit-on pour autant faire peser tout le poids de la défaite sur les seules épaules de d'Autichamp ? Un autre document conservé aux Archives nationales à Paris, daté de février 1800, précise que :

"d'Autichamp est détesté des royalistes et des agents de l'Angleterre. Il sera assassiné par les autres chouans, s'il retournait dans son département…"  Comment ce général peut-il être ainsi détesté au point d'être menacé de mort par les siens ? Rappelons que d'Autichamp ne fut pas le seul à capituler en janvier 1800 ; alors pourquoi la haine des opposants à Napoléons se focalisa-t-elle sur lui ? Pour tenter de comprendre, revenons sur le déroulement de la 3eme Guerre de Vendée. Cette guerre est peu connue, et mal étudiée. La date à laquelle elle débuta est elle-même sujet à débat. Certains la font commencer au printemps 1799 d'autres uniquement à l'automne. Officiellement la guerre ne commença qu'à la suite de la réunion de près de 200 chefs Chouans et Vendéens au château de La Jonchère près de Pouancé dans le Maine-et-Loire, le 14 septembre 1799. Ces chefs décidèrent alors de relancer la guerre civile. Une nouvelle insurrection purement politique même si elle reçut un bon écho dans la population civile de l'Ouest, surveillée et suspectée depuis la paix de La Jaunaye en 1795. Mais en vérité la déclaration de guerre de septembre 1799 ne fait qu'officialiser un état de fait déjà en place depuis le mois de juin. La divergence entre les historiens tient en ces deux dates : juin 1799 début des combats ; septembre 1799 déclaration officielle des chefs Chouans et Vendéens. Mais en vérité qu'importe la réunion de Pouancé, les combats avaient bel et bien commencé au printemps ; des troupes de plus de 1000 individus en armes étaient signalées aux autorités parcourant les Mauges, les bocages Vendéens et Deux Sévriens dès le mois de juin, et des combats étaient livrés chaque jour. En juillet, Angers se déclara même en état de siège et des troupes étaient envoyées dans l'Ouest dès ce même mois de juillet… D'Autichamp était défavorable à cette guerre, et le fit savoir à La Jonchère. Mais face à l’opinion générale, il se résigna et commanda en chef l'Armée d'Anjou. Il fut battu à Cholet le 29 octobre 1799, et aux Aubiers (Deux-Sèvres) le 4 novembre. Durant cette dernière défaite, il semble même qu'une partie de son armée refusa de le reconnaître comme chef. Il est vrai qu'une partie de ses troupes était composée des hommes du général Henri Forestier écarté du combat suite à une grave blessure en août. Or en juillet, les hommes de Forestier s'étaient heurtés à des menaces de la part de d'Autichamp et de ses officiers. D'Autichamp ne voulant pas la guerre, il s'en était pris à ceux qui luttaient déjà armes à la main comme c'était le cas de Forestier et de ses hommes… Logique donc que l'ambiance entre les hommes de Forestier et d'Autichamp ne fut pas au beau fixe, surtout après une défaite comme celle des Aubiers… Mais expliquons plus en détail ces menaces de d'Autichamp vis-à-vis des insurgés. Henri Forestier lança un appel à la prise d'armes dès le mois de juillet et invita d'Autichamp à le rejoindre. C'est le second de d'Autichamp, Jean-Aimé Soyer, brillant officier de la première guerre de Vendée, qui répondit : "Je vous charge, Monsieur, d'avertir les prétendus chefs des nouveaux insurgés que nous sommes décidés à réprimer leurs outrages (…). S'il est tué un officier, nous nous en prendrons (…) aux auteurs de ces mouvements irréguliers et nous en ferons une justice si prompte et si éclatante que nous mettrons fin à des forfaits qui sont la honte de notre partie…" (Etude documentaire sur la Révolution Française - C.L. Chassin - Floch 1973)  C'est clair. Soyer parlait au nom de ceux qu'il représentait et les menaces étaient précises. De là pourtant à penser que les Vendéens opposés à la guerre puissent mettre à exécution de telles menaces… cela semble improbable. Pourtant un événement nous pousse à nous interroger…  Pierre Vrignault était l'ancien porte-drapeau du général Vendéen Marigny en 1794. Il fut nommé officiellement commandant en second de la division de Secondigny (Deux-Sèvres) sous les ordres de Claude Benty. Une nomination officielle qui pourrait surprendre si on en croit certains historiens qui affirmèrent que Pierre Vrignault était un "chauffeur", nom que l'on donnait à ces bandits "faux chouans" souvent à la solde du gouvernement, qui volaient, menaçaient, tuaient, torturaient… les habitants des campagnes de l'Ouest afin de discréditer le parti Vendéen…

Les Chauffeurs

Mais la vérité est autre ; Pierre Vrignault était une figure connue dans la région de Bressuire. Il y était né et y vivait. Il venait même de s'y marier… Et qui plus est, son passé de porte-drapeau le rendait populaire au sein de ses anciens compagnons d'arme. Jamais les Vendéens ne l'auraient suivi au combat s'il avait été un "faux chouan". Et malgré mes recherches, je n'ai pu à ce jour découvrir le moindre document républicain l'accusant de faits graves. Le seul fait que j'ai relevé dans les archives l'accuse "d'avoir coupé les arbres de la Liberté"… Les républicains eux-mêmes le qualifiant même parfois de "Adjudant général", une reconnaissance bien respectueuse pour un "bandit de grand chemin"… Il ne fait aucun doute que Vrignault ne fut pas un chauffeur, légende propagée depuis le XIXeme siècle. Le premier à l'écrire fut l'historien Bournisseau sans citer sa source… Pourtant la version officielle de la mort de Pierre Vrignault dit qu'il fut capturé à la fois par les Vendéens et les Républicains, en parfaite entente, et exécuté pour ses meurtres et ses vols… Doit-on rire du ridicule d'une telle affirmation ? N'oublions pas que nous sommes en guerre civile ; comment imaginer alors une entente entre les deux partis pour s'en prendre à un "simple" chauffeur… Les archives en vérité livrent une autre vision des faits. Les Républicains découvrirent la mort de Vrignault avec surprise (Les documents rapportent des "on dit que…") et ignorent même les causes de sa mort. Mais alors si les Républicains n'ont pas tué Vrignault ; qui est responsable ? est-ce les insurgés ? Certainement pas, Vrignault était un des leurs… Alors qui ? Posons l'hypothèse (les preuves manquent pour être plus affirmatif) : Et si les menaces proférées par les Vendéens qui refusaient la guerre avaient été exécutées ? La menace de Soyer promettait "une justice si prompte et si éclatante…".  Doit-on pour autant accuser d'Autichamp ? Cela expliquerait en partie l'opposition dont il fut victime aux Aubiers de la part des compagnons de Vrignault… Mais la mort de ce dernier n'est qu'un élément troublant faute de preuves absolues. Toutefois, dans l'hypothèse où cette affaire Vrignault ne serait pas dénuée de fondements, pourquoi l'accusation s'était-elle portée sur d'Autichamp plutôt que sur ses officiers ? Il y a peut-être une explication dans le passé de d'Autichamp... Le 25 février 1796, le général Vendéen Stofflet fut exécuté à Angers. C'est Charles d'Autichamp qui lui succédera à la tête de l'armée d'Anjou.

Stofflet

Mais cette succession fut contestée… Pourquoi et par qui ? La nomination de d'Autichamp à la tête de l'armée se fit sans que l'état-major de ladite armée ne soit consulté. Certains officiers s'étonnèrent de cette succession et ne manquèrent pas de rappeler que d'Autichamp n'avait finalement combattu en Vendée que durant six mois, de juin à décembre 1793. Certes il fut alors un remarquable officier, mais était-ce suffisant ? En vérité la nomination de d'Autichamp à la tête de l'armée fut le fruit d'une manipulation politique de l'abbé Bernier, ex-conseiller de Stofflet, qui aspirait alors à plus de modération dans un conflit qu'il savait perdu et qui désigna d'Autichamp de sa propre autorité. Celui-ci étant plus proche de ses opinions que d'autres officiers plus enclins à la poursuite des combats, comme c'était le cas d'Henri Forestier qui combattit sans discontinuer de 1793 à 1796. D'Autichamp dut accepter finalement de partager le commandement avec Forestier afin de "calmer" les protestations. Le commandement de d'Autichamp fut très court alors, puisqu'il capitula en mai 1796. Notons qu'en 1799/1800 l'abbé Bernier dont d'Autichamp était toujours proche, ne cachait pas ses penchants en faveur de Napoléon (Napoléon le nommera Évêque d'Orléans en 1802) cela ne pouvait que jeter une ombre sur les actions et les pensées de d'Autichamp. Enfin, lorsque d'Autichamp capitula en mai 1796, il laissa le commandement au seul Henri Forestier. Et en 1799 les partisans de ce dernier n'avaient pas oublié qu'il était le dernier général en chef en titre et que lui, Forestier, n'avait pas capitulé… L'opposition entre les troupes de Forestier et les officiers de d'Autichamp prenait donc sa source aux dernières semaines de l'année 1796…  Pour résumer les deux factions en présence : D'un côté : Charles D'Autichamp :

Brillant officier qui a quitté le théâtre de la guerre en 1793 après 6 mois de combats ; s'était engagé dans l'armée républicaine ; avait rejoint Stofflet en 1795 pour lui succéder en février 1796 sur l'autorité seule de l'abbé Bernier ; partagea le commandement avec Henri Forestier suite aux protestations d'une partie de l'état major ; capitula en mai 1796. En 1799, il s'afficha comme opposé à la reprise des armes et ses officiers proférèrent des menaces contre les insurgés. Menaces qui furent peut-être exécutées avec la mort de Pierre Vrignault. Ajoutons que parmi les partisans de d'Autichamp se trouva la plupart des nobles rentrés d'Émigration et qui n'avaient pas connu "la grande guerre de 1793". Mais ces derniers se rangèrent plus "naturellement" derrière un marquis (Forestier était issu du peuple…).

De l'autre côté : Henri Forestier Brillant officier qui lutta sans discontinuer de 1793 à 1796 ; succéda à Stofflet en février 1796 à la demande d'une partie de l'état-major et partagea le commandement avec Charles d'Autichamp. Premier général à reprendre les armes en 1799, ses hommes furent visés par les menaces des partisans de d'Autichamp. Un d'entre eux, Pierre Vrignault, fut tué. Présentée ainsi, l'opposition à laquelle d'Autichamp se heurte en 1799 naît donc aussi probablement de son opposition historique et politique avec les officiers les plus "va-t-en-guerre" comme Henri Forestier. La querelle entre les deux partis Vendéens, "jusqu'au-boutistes" et "modérés", s'envenima probablement en 1799/1800 face aux défaites de d'Autichamp, face aux menaces contre les insurgés, peut-être face à la mort de Vrignault, et certainement suite à la capitulation de Montfaucon (que Forestier prit bien garde de ne pas signer). Finalement en 1799/1800 les circonstances avaient alimenté la politique et les rancœurs. Et la victime désignée fut Charles d'Autichamp. A tel point qu'il dut lui-même tenter de se justifier auprès des Princes en leur écrivant une lettre qu'il fit parvenir à son père en lui demandant de la remettre en main propre. Je n'ai pas retrouvé cette lettre mais le père de d'Autichamp s'en confia à son frère le Marquis pour lui demander son avis sur les propos de son fils : "Je vous renouvelle la demande instante de votre avis sur la remise de la lettre de Charles à Monsieur"   Ainsi nous apprenons que le père du général Vendéen en disgrâce hésita longtemps à donner la missive de son fils au Prince, n'ayant pas été totalement convaincu des justifications de son fils.  Et, paradoxalement, ce fut l'aggravation de la situation qui allait finalement décider le père à agir. En septembre, le père d'un autre général Vendéen, Constant de Suzannet, écrivit au père de d'Autichamp. Le général Suzannet était de ceux qui avaient capitulé à Montfaucon, et l'opprobre lancé contre d'Autichamp aurait pu retomber sur lui-même et sa famille si Suzannet finalement n'avait pas afficher ses regrets.

Suzannet

Aussi le père de Suzannet écrivit donc au père de d'Autichamp :  "J'espère que ma conduite dans tous les temps prouvera que si mon fils a paru profiter des dépouilles du vôtre ni luy ni moy n'avons eut part à ce changement et que si nos représentations avaient été écoutées, on n'aurait pas donné des ordres qui ne laissaient d'autres alternatives que le deshonneur et l'infamie…" Autrement dit si Suzannet avait capitulé, c'est à contrecœur et pour suivre des ordres déshonorants et infamants… C'est bien une accusation directe lancée contre d'Autichamp. Si bien que le père de d'Autichamp n'eut d'autre choix que de défendre son fils et d'écrire lui-même au Prince. La lettre finale n'a pas été retrouvée, mais les archives du ministère des Affaires étrangères conservent son brouillon avec ses ratures et ses modifications, preuve qu'elle a probablement été difficile à rédiger.

Voici quelques extraits : "Il resulte, Monseigneur, de mes recherches les plus actives depuis six mois, des informations sures que je me suis prouvées par leurs correspondances particulières, et pensant dans les formes les plus pure que Charles d'Autichamp, en signant la paix n'avait aucun moyen de continuer la guerre" "L'abbé Bernier dont il subit la malheureuse influence, traitait secrètement avec Hédouville" "A l'époque du 21 janvier l'armée de mon fils n'avait pas 100 livres de poudres" "Tous ce qu'on a été répendre sur les liens forts intimes de mon fils avec l'abbé Bernier et sur ses rapports avec Bonaparte est dénué de tout fondement de vérité"  Bref, pour ce père qui tente de laver l'honneur d'un fils, le coupable, le traître n'est autre que l'abbé Bernier.

L'abbé Bernier

 Quelles furent finalement les conséquences pour d'Autichamp ? Il entra alors en disgrâce, retournant vivre en son château de La Roche-Faton où il mena une vie tranquille, "retirée des affaires"… Et de leur côté, les Anglais et les princes quant à eux se tournèrent vers les partisans de la guerre, accordant leur soutien et leur crédit à Cadoudal pour les Chouans et à Forestier pour les Vendéens. Ce n'est qu'en 1815, lors de la quatrième guerre de Vendée, que d'Autichamp revint sur le devant de la scène en reprenant le commandement d'une division Vendéenne. Ses déboires étaient désormais lointains, et il restait quand même un des derniers survivants de la Grande Guerre. Pourtant, une fois de plus il fut accusé de trahison après avoir refusé de se porter en soutien des troupes commandées par Louis de La Rochejaquelein son général en chef. Les adversaires de d'Autichamp lui reprochèrent alors que son inaction contribua à la mort au combat de Louis de La Rochejaquelein. Accusation peut-être hâtive puisqu'il ne fut pas le seul à ne pas répondre à la demande du général en chef ; ce fut également le cas du vieux général Sapinaud et du général… Suzannet. Mais Sapinaud, glorieux général survivant de 1793, était particulièrement populaire et ne souffrait pas d'une aura de "traîtrise" née en 1799. On pardonna à Sapinaud, mais pas à d'Autichamp. Quant à Suzannet il "lava son honneur" en mourant au combat quelques jours plus tard.


Louis du Vergier de la Rochejaquelein par Pierre-Narcisse Guérin

Les accusations dont fut à nouveau victime d'Autichamp en 1815 semblent bien être un écho de celles de 1800. Preuves que les Vendéens n'avaient pas oublié les querelles de la brève 3eme Guerre de Vendée. Seuls finalement le temps et la disparition des vétérans permirent à d'Autichamp de faire oublier les reproches qu'on lui opposait et finalement, à prendre place dans les livres d'Histoire, aux côtés des grands généraux comme Stofflet ou Bonchamps. Alors que dire de d'Autichamp ? Ces actions en 1793 démontrent qu'il fut un combattant brave et courageux, mais par la suite, manifestement, il ne croyait plus en la guerre. Comment lui reprocher ? Royaliste ? Bonapartiste ? Républicain ? Ni l'un ni l'autre ? Il pensait probablement qu'une cause perdue ne nécessitait pas tant de sacrifices… C'est probablement lui qui avait raison face à des "jusqu'au-boutistes" comme Henri Forestier dirait-on avec un regard XXIème siècle, mais dans le contexte de l'époque les choses n'étaient certainement pas si simples. Contentons-nous alors de laisser parler les documents. Grand combattant, trop modéré pour certains, il fut rejeté par ceux avec lesquels il avait combattu. Mais finalement les Princes ne lui en tinrent pas rigueur puisque la Restauration lui accorda la Croix de Saint-Louis et le titre de Pair de France…


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