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Souvenirs de la "drôle de guerre"




Dans un petit carnet défraîchi conservé presque par hasard avec d’autres vieux souvenirs familiaux est griffonné au crayon de papier le témoignage succinct de François Courrillaud[1]. 

François Courrillaud (photographie prise lors de son service militaire en 1926)

Né en 1906, vivant à Beaulieu-sous-Bressuire, commune du nord des Deux-Sèvres, et père de trois jeunes enfants, c’est un soldat réserviste de l’armée active rappelé sous les drapeaux au début de la Seconde Guerre mondiale.  Lors de sa mobilisation, il fut affecté au 6e régiment du génie. Sur son calepin, il donne quelques indications intéressantes :

- « Arrivé au 6eme génie le 24 janvier 1940 et versé au bataillon de passage à la Compagnie 51. Versé en détachement du 6eme génie à Airvault le 8 février 1940 ». En période de guerre, il est difficile de connaître les activités et opérations des régiments du génie, car dès la mobilisation ils sont éclatés en compagnies et disséminés dans différentes divisions. Le génie avec sa devise « parfois Détruire, souvent Construire, toujours Servir » prépare le terrain pour les troupes d’infanterie et d’artillerie. Sa fonction durant la « drôle de guerre » était surtout d’aider au franchissement de cours d’eau, de creuser des boyaux, mais également de réaliser des travaux de fortifications et d’aménagement de routes. Ce fut le cas du 6e RG, régiment de sapeurs basé à Angers.[2] Quelques éléments du 6e, dont François Courrillaud, furent ainsi affectés à la conception, la construction et l’entretien du « camp de circonstance de St Loup-sur-Thouet » plus connu sous le nom de camp de Veluché. Pour précision, ce camp était situé aux Jumeaux dans le nord des Deux-Sèvres à la frontière de Saint-Loup-sur-Thouet et Airvault. À la déclaration de la guerre, le gouvernement polonais en exil fut accueilli en France et séjourna à Angers du 22 novembre 1939 au 12 juin 1940. Il conclut le 9 septembre 1939 un accord avec le gouvernement français pour permettre la création d’une armée combattante polonaise, et pour cela il y eut appel sous les drapeaux de tous les Polonais en âge de porter les armes qui résidaient en France. Pour former les unités combattantes des 2e et 4e divisions polonaises, le camp de Veluché fut donc créé. À partir du 1er janvier 1940, près de 30 000 militaires polonais y vécurent le temps de leur formation avant d’être répartis dans les fermes des localités voisines. Ils continuaient ainsi à s’entraîner dans l’attente de leur future affectation[3]. La conception et l’élaboration de ce camp étaient sous l’égide du capitaine Brefeil, polytechnicien de formation. Les travaux avaient été réalisés par les troupes des unités du Génie, de la 501e du Train,[4] des responsables civils et la main-d’œuvre ouvrière était constituée de près de 1000 travailleurs espagnols.[5]

Les quelques notes griffonnées sur le carnet de François Courrillaud permettent de connaître un peu la vie sur place. À côté d’adresses de camarades d’armée, il y a d’inscrit le numéro de son fusil, un calibre 16 à deux canons. Mais on devine aussi son ennui durant cette « drôle de guerre », même si des travaux de terrassement avaient été ordonnés pour occuper les soldats[6]. Est ainsi notée cette phrase en forme de boutade : - « Ma chère tante, comme je n'ai rien à faire je vous écris, et comme je n’ai rien à dire je m’arrête. »

Des remèdes dits de « grand-mère » sont indiqués notamment contre la pneumonie. Il est vrai que l’hiver39/40 fut particulièrement rigoureux. On y apprend aussi qu’il obtint une permission agricole de 30 jours du 15 mars au 2 avril ; n’habitant qu’à une trentaine de kilomètres cela lui fut facile de s’y rendre. Mais la campagne de France arrive. Et comme on peut le voir grâce à la base de données des militaires décédés pendant la Seconde Guerre mondiale de Mémoire des hommes, Le 6e RG versa son tribut en morts durant cette période : ainsi Jean Jacques BLOC est « tué à l’ennemi » le 19 mai à Ruesnes dans le Nord[7], Lucien François Desvergne meurt de suite de ses blessures en Ardenne le 20 mai 1940,[8] Pierre Joseph Delobre est lui aussi « tué à l’ennemi » le 21 mai à Neufchâtel, dans le Pas de Calais, quant à Sylvain Desrosiers il tombe au « au champ d’honneur »le 21 juin 1940 à Parey Saint Césaire en Meurthe-et-Moselle.[9] Durant ces mois de mai et juin 1940, les missions des soldats du génie changent, ainsi ils furent chargés de détruire des ponts pour retarder l’avancée des troupes ennemies. En effet, devant la progression rapide de l’armée allemande, le gouvernement français réfugié à Bordeaux avait demandé que les fleuves et rivières soient mis en défense et quatre sections du 6e du génie sont dirigées vers la Loire pour détruire des ponts près de Saumur.[10] Mais après la démission du gouvernement de Reynaud, le 17 juin, Pétain qui le remplaça demanda à l’armée de cesser le combat dans la perspective de l’armistice. Et par un ultime acte de courage, afin de sauver l’honneur, du 19 au 20 juin, ceux qui restèrent dans l’histoire sous le nom des « cadets de Saumur » retardèrent la progression de l’armée allemande vers le sud. Parmi eux se trouvaient 120 soldats issus de quatre sections du génie du dépôt de guerre du 6e RG, certains participèrent directement aux combats, d’autres sapeurs détruisirent les ponts de Montsoreau, Saumur et Gennes. Marcel Jonas y a laissé sa vie, « mort pour la France » le 20 juin 1940 à Saumur.[11]

Toutefois, le plus grand nombre des incorporés au 6e RG n’ont pas vu le front de toute la guerre. Ainsi une grande partie du 6e qui soit stationnait près des ponts sur la Loire soit était en casernements à Angers, reçut le 16 juin l’ordre de partir vers le sud. Le 17 un groupe parvint aux Cerqueux dans le Maine-et-Loire. Un autre atteignit Mauléon dans les Deux-Sèvres. Le lendemain de la demande d’armistice par Pétain, ils déposèrent leurs armes et les deux groupes furent successivement fait prisonniers par les Allemands le vendredi 21, et le samedi 22 juin. Peu s’évadèrent pensant rentrer bientôt chez eux, au vu d’un des articles de l’armistice juste signé qui stipulait que « Les membres des forces armées françaises qui sont prisonniers de guerre de l’armée allemande resteront prisonniers de guerre jusqu’à la conclusion de la paix ». Ils ne se doutèrent pas que nombreux parmi eux après un passage au camp d’Auvours dans la Sarthe resteraient cinq ans prisonniers en Allemagne.[12] Mais qu’était-il arrivé aux soldats du génie affectés au camp de Veluché ? Le 16 juin 1940, ce camp fut converti en dépôt de guerre commun à toutes les unités de l’armée polonaise de France. Lorsque Pétain donna l’ordre le 16 juin de cesser le combat afin de négocier un armistice, le gouvernement polonais en exil partit pour Londres. Et le 18 juin, comme toutes les unités combattantes polonaises, la quatrième division polonaise en cours de formation reçut l’ordre de poursuivre la lutte, et pour cela elle rejoignit La Rochelle pour être évacuée en Angleterre.[13] Pendant ce temps, une partie des soldats français du génie eut pour mission d’acheminer des chevaux vers le sud afin que l’armée allemande ne les réquisitionne pas. On sait qu’à cette période, l’armée française perdit 320 000 de ses 400 000 chevaux et tout le matériel lourd qu’ils tractaient comme l’artillerie antichar.[14] Et donc, ceux affectés à Veluché [15]furent évacués par les Français ayant construit le camp. Mais ils en laissèrent tout de même trente-cinq qui furent répartis chez les fermiers des alentours par le maire de Saint-Loup qui donna ordre de ne pas les vendre, car ils appartenaient à l’armée franco-polonaise ; quelques semaines plus tard, les Allemandes vinrent les récupérer comme prise de guerre.[16] Et François Courrillaud durant cette période ? Selon son livret militaire il est noté - « à St loup sur Thouet le 31 mai 1940 vu le commandant d’armes Po (pour) l’officier adjoint » avec la signature de Thorigny. Et il fit partie des soldats français qui accompagnèrent les chevaux. On lit quelques conseils qu’il écrivit sur leurs soins, conseils étonnants :

« Maladie des chevaux. Pour rendre un cheval méchant très doux, lui mettre des boulettes de beurre dans les oreilles, boulettes très petites Pour la galle des chevaux, uriner deux matins de rang dans un récipient et mélanger dans du soufre, lavage une fois par jour Pour les…. (espace) des chevaux faire manger des pointes de genets verts dans de l’avoine aux matins à jeun »

Mais quelques lignes notées sur le cahier sont beaucoup plus intéressantes :


- « Partis d’Airvault le 18 juin convoyer des chevaux jusqu’à Chasseneuil sur Bonnieure Arrivé à Chasseneuil le 23 juin Fait prisonnier le 25 juin matin Relâché le 25 juin également Partis de Chasseneuil le 25 juin Arrivé à Nontron le 26 juin A la Maladrerie, Dordogne Partis de La maladrerie le 23 juillet pour Thiviers Dordogne Arrivés à Thiviers le 23 juillet Partis de Thiviers le 24 juillet arrivés à St Pardoux le 24 juillet » Concernant l’acheminement des chevaux jusqu’à Bonneuil, on peut deviner le chemin que prit la troupe, car un peu plus loin, une succession de noms de communes et lieux-dits est énumérée : - « Perserie ? sainte Soline (Deux-Sèvres) Mont-Jean (en fait Montjean en Charente) Chasseneuil sur Bonnieure(Charente), Busselière (est-ce Bussière-Badil ? Busserole ?) Maladrerie (Lieu-dit de la commune de Nontron en Dordogne). » Ce périple de près de cent cinquante kms est effectué en quatre jours sur les routes de l’exode surchargées de tous ceux fuyant l’avance des Allemands. L’armistice signé avec l’Allemagne le 22 juin 1940 devait entrer en vigueur le 25 à 0 h 35, et malgré la rapide progression allemande, il fallait évacuer les chevaux en zone libre absolument. Les Allemands entrèrent à Angoulême le 24, et dans la soirée, ils arrivèrent à Chasseneuil. La troupe française accompagnant les chevaux y était stationnée depuis le 23 ; elle pensait certainement être dans la future zone libre. Le découpage du territoire français qui sépara alors le pays en deux grandes zones selon un tracé abstrait et arbitraire morcelant départements, communes, champs et bois intervint officiellement le 25 juin.

Image : Carte de la ligne de démarcation  Ce tracé subit toutefois sur le terrain diverses modifications, au gré de la fantaisie ou des exigences de l’occupant. Ce qui semble être le cas pour Chasseneuil. Un réfugié de Sarreguemines, futur résistant donne ce témoignage concernant l’arrivée des Allemands dans cette commune : — « Il était prévu que la Ligne de Démarcation couperait la D27 en haut de St. Mary, à environ 4 km de Chasseneuil. Le 24 juin, dans la soirée, une unité de chars allemands précédée d’éléments motorisés dépassait cette ligne, et vers 22 h arrivait sur la hauteur qui domine Chasseneuil. En descendant la côte, après le 2e virage, la tête du convoi fut accueillie par une mitrailleuse lourde placée dans l’axe de la route, à la hauteur du 1er carrefour. Aussitôt, les chars furent mis en batterie, prêts à bombarder la ville. Le château où habitait Edouard Pascaud, député maire de Chasseneuil, ainsi que M. Nicolas Nicklaus maire de Sarreguemines fut investi par les Allemands. Face aux officiers, les 2 maires firent front pour éviter la destruction de la localité. Les pourparlers furent facilités par le fait que le maire de Sarreguemines était bilingue, mais ils durèrent pourtant près de 18 h. Pendant les jours suivants, une Ligne de Démarcation provisoire fut établie, au pont de la Bonnieure direction St. Mary. (…)»[17]

Ligne de démarcation à Chasseneuil sur Bonnieure (source site de Chasseneuil)

Est-ce que la mitrailleuse lourde appartenait aux soldats venant de Saint-Loup sur Thouet ? En tout cas, de par la continuation de la numération de lieux donnés par François Courrillaud, les soldats français purent continuer leur périple pour arriver à leur destination finale dans la partie libre de la Dordogne voisine. Avec leurs chevaux ? Aucune information n’est donnée sur le calepin à ce sujet. Concernant François Courrillaud durant ces deux jours passés à Chasseneuil, rappelons ce qu’il écrit : -«  Arrivé à Chasseneuil le 23 juin Fait prisonnier le 25 juin matin Relâché le 25 juin également Partis de Chasseneuil le 25 juin » Quelques précisions peuvent être données sur cette arrestation du 25 juin, suivie de peu par sa libération. En effet, plus tard, il racontera à sa famille et ses amis, qu’il fut arrêté, car châtain aux yeux gris bleus mesurant 1m83 et portant une fine moustache, on le prit pour un Anglais et une vérification de ses papiers fut donc nécessaire. Pour François Courrillaud, c’est bientôt la fin de sa guerre, il séjourna donc à La Maladrerie lieu-dit appartenant à Nontron en zone libre, où il s’y ennuyait énormément tout en étant conscient de sa chance de ne pas être aux mains des Allemands. Il y sculptera un bâton, rare souvenir de sa guerre. 

Ensuite, le 24 juillet, il rejoignit Saint Pardoux la Rivière où se trouvaient déjà depuis juin des soldats du génie et fut selon son livret militaire : - « renvoyé dans ses foyers le 5 8 40 et se retire à Beaulieu s/ Bressuire (Deux-Sèvres). A perçu l’avance de 200 f sur l’identité de démobilisation ».

Et donc ce réserviste de 34 ans au début de la guerre, père de trois jeunes enfants put rejoindre son village en zone occupée. Sa famille s’agrandit avec l’arrivée d’un quatrième enfant en 1942. Et comme beaucoup de Français, il espéra des jours meilleurs.


 

[1] Il fait son service militaire au 8eme régiment de génie, 1er bataillon versé au service de colombophilie à Montoire sur le Loir

[2] Crée en 1894, stationné caserne Verneau, il a vocation de servir outre-mer. [3] 2e division d’infanterie polonaise stationna jusqu’au 20 mai 1940 à Parthenay, pour ensuite être intégrée dans le 45e CA du général Daille, chargé de la défense de Belfort. Elle combattit 17 au 19 juin 1940 et pour ne pas être fait prisonnière passa en Suisse 20 et 21 juin où elle y être internée durant la durée de la guerre dans Gazetto Beskid [4] Elle était commandée par le capitaine Prudhoy cité par Dr Daniel Bouchet « Si je meurs, venge-moi : mémoires d’un agent de la Résistance » éditions U.P.C.P Geste paysanne 1990 [5] Ceux-ci étaient des réfugiés politiques et qui sous condition du droit d’asile devaient fournir aux autorités militaires des travaux rémunérés. [6] Dr Daniel Bouchet « Si je meurs, venge-moi : mémoires d’un agent de la Résistance » éditions U.P.C.P Geste paysanne 1990 [7] https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/militaires_decedes_seconde_guerre_mondiale/detail_fiche.php?ref=1672868&debut=0 [8]https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/militaires_decedes_seconde_guerre_mondiale/detail_fiche.php?ref=1707819&debut=0 [9]https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/militaires_decedes_seconde_guerre_mondiale/detail_fiche.php?ref=1707644&debut=0 [10] Article de ouest France du 2 juillet 2018 [11]https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/client/mdh/militaires_decedes_seconde_guerre_mondiale/detail_fiche.php?ref=1749094&debut=0 [12] Eugène Gauthier « Serviteur de Dieu et des hommes » TTI Services 79310 Mazières en Gâtine. 09/2014 Pages 69 et 70 [13] Malheureusement, tous les soldats polonais ne purent passer en Angleterre, un certain nombre furent tués lors du bombardement de la gare d’Airvault et seulement 6 000 sur les 10 000 purent arriver à temps à La Rochelle pour embarquer. Sylvain Francia « Le gouvernement et l’armée polonaise en France de septembre 1939 à juin 1940 » Thèse de doctorat en Histoire, Histoire religieuse, politique et culturelle présentée et soutenue publiquement le 19 octobre 2009 https://scd-resnum.univ-lyon3.fr/out/theses/2009_out_francia_s.pdf [14] Jean-Jacques Arzalier, « La campagne de mai-juin 1940. Les pertes ? », dans Christine Levisse-Touré (directeur de publication), la campagne de 1940 : Actes du colloque du 16 au 18 novembre 2000, Paris, Tallandier, 2001, p. 428-430 [15]L'Armée polonaise dans les Deux-Sèvres -Le camp de l'Armée polonaise de Veluché. « Baraquements des bois de la Chauvière semblaient être dédiés à l’hébergement des chevaux destinés à la traction hippomobile pour les transports et pour les batteries antichars ». Dans Gazetto Beskid https://www.beskid.com/medrala4.html [16] Dr Daniel Bouchet « Si je meurs, venge-moi : mémoires d’un agent de la Résistance » éditions U.P.C.P Geste paysanne 1990 [17] Souvenirs de Roger River résistant du Maquis "Bir-Hacheim") collectés sur http://musee.delaresistance.free.fr/en%20ligne/bios/river.html

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