Il y a un certain nombre d'années, du temps du cabinet Familiaris, spécialisé en recherche de documents en archives, nous avions un certain nombre de clients domiciliés dans des pays plus ou moins lointains et exotiques : USA, Pérou, Mexique, Royaume-Unis, Allemagne, Nouvelle-Zélande, Australie, etc. Un de ces clients préparait une exposition pour le musée du Fort Alamo au Texas, et nous demanda de rechercher des informations sur la famille d'un peintre français, inconnu chez nous, mais célèbre là-bas pour avoir peint des paysages et la vie quotidienne du Texas au XIXème siècle. Ses œuvres sont un témoignage du "Old Texas" et ornent aujourd'hui les murs de plusieurs musées américains et sont une source précieuse pour les historiens. Il fut par exemple le premier artiste à immortaliser les ruines du fameux fort Alamo, quelques années seulement après la célèbre bataille qui coûta la vie à Davy Crockett et Jim Bowie… Retour donc sur un peintre ignoré chez nous mais toujours honoré outre-Atlantique : Théodore Gentilz.
Jean Louis Théodore Gentilz est né à Paris le 2 mai 1819. Il est le fils de Jean Pierre Gentilz[1] et de Louise Forget.
Il a suivi des cours de dessin et de peinture à l'Ecole Impériale de Mathématique et de dessin[2] où il fut élève de Viollet-le-Duc. Il travailla également dans l'atelier du peintre Raymond Auguste Quinsac Monvoisin[3], et certains historiens pense que le fait que ce dernier ait poursuivit sa carrière au Chili à partir de 1842, influença la décision de Gentilz de quitter la France moins de deux années plus tard.
Il a 25 ans lorsque, diplôme en poche, il fait une rencontre qui va changer sa vie. En 1844, il entre en contact avec Henri Castro[4]. Ancien membre de la Garde impériale de Napoléon, après avoir épousé une riche héritière, il s'installa aux Etats-Unis dans les années 20 où il devient consul de France dans la ville de Providence (Rhode Island). En 1827, il prend la nationalité américaine et se lance dans les affaires.
En 1836 la province mexicaine du Texas fait sécession et devint indépendante[5] et son président, Sam Houston, n'hésite pas à faire don de terres à ceux qui souhaitent s'y installer. Ainsi Henri Castro se voit concéder des territoires le long de la rivière Medina, 30 km à l’ouest de la ville de San Antonio. Il va y fonder sa ville Castroville, en y faisant venir de France des émigrants par bateaux entiers ; en particulier des Alsaciens (l'Alsacien sera longtemps parlé à Castroville). L'opération est un succès et il la renouvelle… Castro a introduit en tout, près de 2100 colons au Texas, ce qui en fait le second contributeur au peuplement après Stephen Austin ; et il a ainsi également fondé les villes de Quihi en mars 1846, Vandenburgen en septembre 1846, et D'Hanis au printemps 1847.
Castro fait venir Gentilz au Texas en 1843 ou 1844 selon les historiens. Il serait arrivé avec le second navire affrété par Castro venant de France. Gentilz va se charger de l'aménagement et des plans de ces nouvelles villes ; arpentant et délimitant les terres concédées aux colons par la République Texane.
I
Mais l'expérience de peintre de Théodore Gentilz intéressa également Castro qui vit là l'occasion d'utiliser son talent dans un but promotionnel. Ainsi son travail va l'amener à parcourir cet état et à rencontrer sa population faite de Mexicains, d'Amérindien, d'Américains et de colons étrangers, en particulier Français, et à les coucher sur la toile ainsi que les nombreux paysages de cet état.
Il se déplaçait de El Paso à la côte du golfe du Mexique et même jusqu'à Mexico. L'œuvre artistique de Gentilz se concentre sur la culture amérindienne et mexicaine, sur la vie des éleveurs, les scènes de rue et les anciennes missions espagnoles.
IGentilz serait devenu un véritable assistant de Castro, qui depuis 1841 intervenait régulièrement auprès des autorités Françaises dans le but de conclure des accords avec la République du Texas.
Bien qu'ayant une petite maison à Castroville, Gentilz fréquentait de plus en plus San-Antonio, faisant régulièrement le trajet entre les deux villes (environs 50 kms). Sur la route il se lia au gré des rencontres, avec les populations locales, mexicaines et amérindienne et lesquelles il troquait des dessins en échange de nourriture. De retour à son atelier de peinture à San Antonio, il reprenait les esquisses nées de son crayon lors de ses déplacements pour les transposer en couleur à la peinture à l'huile. Ses œuvres gardent ainsi le souvenir des Comanches, des Lipans, des Apaches ou encore des Kiowas.
Malheureusement, en 1847, sa maison de Castroville, où il conservait sa bibliothèque et de nombreuses œuvres, fut détruite par un incendie, et ses toiles avec.
Outre son travail de géomètre, et de peintre, Gentilz était régulièrement envoyé en Europe par Castro afin de "recruter" des volontaires pour venir peupler les colonies Texanes, désormais Américaines depuis 1845. Ainsi en 1847, il voyagea en Belgique et à Paris, où il retrouva Auguste Monvoisin de retour en France pour quelques mois.
En 1849, Gentilz s'installe définitivement à San Antonio. Cette même année, Castro lui demande de retourner une fois encore en France pour y promouvoir ses colonies. Voyage durant lequel il épousa Marie Louise Anastasie Fargeix, musicienne, le 12 juin 1849 à Paris et avec laquelle il va s'installer donc à San Antonio. La jeune sœur de Théodore, prénommée Henriette, est également du voyage.
Cette dernière rencontrera au Texas un colon Français ami proche de Théodore Gentilz, Auguste Fretellière[6], qu'elle épousera en 1852. Très liées, ces deux familles, Gentilz et Fretellière, deviendront des piliers de la vie de San Antonio y fondant même une association de secours mutuel.
Il continua ses allers-retours vers l'Europe jusqu'en 1877, mais en 1879 c'est désormais la peinture qui devait l'accaparer à temps plein. Il fonde alors un atelier d'enseignement (au 318, rue Flores Nord à San Antonio) et fit imprimer une annonce pour l'occasion :
"Instruction en dessin et en peinture de tous genre ; aussi dans les principes de la géométrie suivis de perspective linéaire et aérienne à l'intention des peintres"
Il publia également un ouvrage intitulé "A method of perspective for artist" dédicacé "en souvenir de Viollet-le-Duc" (décédé en 1879).
A la même époque Théodore Gentilz devint enseignant dans la première université du Texas (St-Mary's College à San Antonio, fondée en 1852), où il donne des cours de peinture. C'est ainsi qu'il enseigna à ses nièces Louise et Mathilde Fretellière qui devinrent également des artistes réputées au Texas. De son côté, son épouse Marie, donnait des cours de musique à domicile.
Bien que sa peinture et ses cours lui prenaient beaucoup de temps, on continua à faire appel à lui en tant que géomètre, en particulier pour dessiner des routes au nord du Mexique, zone géographique dont il publia des cartes détaillées en 1880. Comme toujours, ses déplacements étaient pour lui l'occasion de reproduire en peinture les villes qu'il traversait, les paysages et les hommes qu'il croisait, mais désormais ses croquis préalables au travail sur toile cédaient la place à la photographie…
Il prit sa retraite en 1894, et décéda à San Antonio le 4 janvier 1906 laissant une œuvre considérable, considérée par les spécialistes comme un des plus importants témoignages de la vie des premiers Texans.
Son style, jugé un peu rigide et naïf dans ses débuts, évolua vers plus d'habileté avec le temps. Ses œuvres appartiennent aujourd'hui à différents musées, en particulier au San Antonio Museum of Art, ou encore dans le musée du fort Alamo à San Antonio.
Un mot sur Louise Fretellière la plus illustre de ses nièces. Née en 1856, elle devint professeur des Beaux-Arts, et enseigna au Texas et au Mexique. Comme son oncle, plusieurs de ses œuvres sont conservées dans les Musées Texans. Elle est décédée en 1940.
[1] Né à Lorges (41) le 29 janvier 1780. Décédé à Paris le 13 décembre 1847. Il était carrossier rue de Miromesnil
[2] Ecole gratuite établie rue des Cordeliers à Paris, créée en 1766 par Jean-Jacques Bachelier (1724-1806), ouverte officiellement en 1767 par lettres patentes du roi Louis XV. - Elle devient l' "École royale de dessin et de mathématiques en faveur des arts mécaniques" en 1823. - En 1877, après plusieurs changements d'appellation (dont la "petite École"), l'institution devient l' "École nationale des arts décoratifs"
[3] Raymond Auguste Quinsac Monvoisin (1790 – 1870)
[4] Comte Henri Castro (1786-1865)
[5] La République du Texas rejoindra les Etats-Unis en 1845.
[6] Né à Angers (49) le 17 mars 1823. Son père également prénommé Auguste était confiseur. Il était arrivé aux Etats-Unis à Gavelston (Texas), venant d'Anvers, le 25 octobre 1843 sur le navire "Jean Key". Il est décédé en 1902.
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