Le 8 janvier 1815 eut lieu la bataille de La Nouvelle-Orléans qui conclut la guerre américano-anglaise commencée par les Américains le 18 juin 1812. Cette date de l’histoire des Etats-Unis a son intérêt pour les passionnés de la révolution Française et du Premier Empire ; voici pourquoi :
Cette guerre américano-anglaise, aussi appelée seconde guerre d’indépendance, commença lorsque les Américains ont envahi les territoires canadiens relevant de l'Empire britannique en représailles de l'enrôlement forcé de marins américains dans la Royal Navy sous le prétexte fallacieux qu'ils étaient des déserteurs anglais. Mais une autre raison de cette guerre était la forte tension entre ces deux pays depuis que l'Angleterre voulait imposer le blocus maritime contre la France. Les guerres napoléoniennes avaient pénalisé le commerce américain, et donc le président Madison voulait pouvoir faire entendre sa notion de pays neutre afin de continuer à exporter son coton vers la France.
Dans un premier temps, le conflit fut catastrophique pour la jeune nation, le Capitole fut même incendié. De plus, lorsque Napoléon fut emprisonné à l’île d’Elbe, Les Anglais purent alors accentuer leur présence outre-Atlantique, et décidèrent d’attaquer en Louisiane. Leur but était de prendre La Nouvelle-Orléans position stratégique à l'embouchure du Mississippi et du golfe du Mexique. Ils pensaient que cette région n’étant intégrée aux Etats-Unis que depuis sa cession par Napoléon en 1803, les habitants n'auraient pas la volonté de la défendre. De plus, ils comptaient sur l’aide des flibustiers de Barataria en conflit avec le gouverneur louisianais et pouvoir profiter de leur connaissance des lieux.
Ces derniers, près de 4 000, avaient profité du vide juridique laissé pendant plusieurs années entre la cession de la Louisiane et l’élection du nouveau gouverneur Claiborne pour s’installer dans les bayous louisianais. Alors qu’ils étaient considérés pirates par beaucoup, comme ils attaquaient les navires espagnols sous lettres patentes de nations en devenir comme le Mexique, eux se revendiquaient corsaires.[1] Les marchandises saisies ainsi sur les navires espagnols étaient revendues discrètement en Louisiane. Il en était de même pour les esclaves pris sur ces mêmes navires, ils étaient achetés clandestinement par les plantations de coton demandeuses de cette main-d’œuvre devenue rare depuis que Washington en avait interdit leur importation. Le chef de Barataria était le célèbre pirate Jean Lafitte, lui-même secondé par son frère[2] et Dominique You un ancien artilleur de l'armée napoléonienne[3]. En effet, de nombreux soldats et marins français rescapés de la désastreuse expédition de Saint-Domingue s’y étaient réfugiés. Alors que le gouverneur louisianais venait de faire une expédition à Barataria, ce qui lui avait permis de faire prisonnier Dominique You, en l'échange d'une grâce les baratariens eurent la volonté de combattre les vainqueurs de Napoléon. Parmi eux se trouvaient des noms célèbres, comme le général de division révolutionnaire Jean Joseph Amable Humbert, ancien négociateur avec les chouans qui participa avec éclat à l’expédition d’Irlande et à celle de Saint-Domingue. Mais suite à une liaison avec Pauline Bonaparte veuve du général Leclerc, il fut destitué et partit se réfugier à Barataria où il combattit pendant un temps pour l'indépendance du Mexique.[4]
Sans l’aide des pirates, donc, et après avoir gagné le 14 décembre 1814 la bataille maritime du lac Borgne, les Anglais débarquèrent en Louisiane à 14 kilomètres au sud de La Nouvelle-Orléans. Ils atteignirent le 23 décembre 1814 la plantation Villeré.[5]
En échange de leur liberté, ils rallièrent à leur cause un certain nombre d’esclaves des plantations traversées.[6] Mais au lieu d’attaquer par surprise La Nouvelle-Orléans, les Anglais prirent le choix tactique de rester camper sur place. Le major Gabriel Villeré, fils du général Jacques Villeré put s'échapper à cheval pour prévenir les autorités de la ville. En plus du bataillon d’Orléans composé de jeunes et riches volontaires créoles francophones, [7] depuis le 2 décembre s’y trouvaient le général Andrew Jackson et la milice du Tennessee vainqueurs depuis peu des Amérindiens Creek. Le général se méfiait des Français, dont peu avaient pris la nationalité américaine, et avait obtenu du gouverneur Claiborne la levée d'une milice afin de renforcer les forces de défense de La Nouvelle-Orléans. Tant que la ville était en danger les Français décidèrent de la défendre face aux vainqueurs de Napoléon. Un témoin de l’époque dira que dans les rues de la ville se côtoyaient la Marseillaise et le Yankee Doodle.[8]
Jackson rassembla des hommes le soir même et organisa une contre-attaque aussitôt repoussée. Toutefois, les Anglais venaient de perdre leur meilleure chance. Jackson ordonna alors qu’un parapet de défense autour de la ville soit construit et y fit établir des batteries de défense. Il fut aidé en cela par Arsène Lacarrière-Latour architecte français ancien officier de génie à Saint-Domingue lui aussi réfugié en Louisiane.[9]
Avec l’arrivée de renforts, les Anglais attaquèrent à Chalmette le 8 janvier à l’aube et sous un fort brouillard pensant en profiter. Mais le brouillard s’estompa rapidement et les batteries de défense firent des ravages, notamment grâce à l’expérience de Dominique You. Alors que les défenseurs étaient pourtant moins nombreux, ils écrasèrent l’ennemi. Il y eut plus de deux mille victimes anglaises dont les généraux Pakenham et Gibb contre soixante-dix américaines.
Parmi les défenseurs, notons Jean Théophile Victoire Leclerc, ex-révolutionnaire français connu comme Leclerc de Lyon ou Leclerc D'Oze, signataire du manifeste des Enragés. Depuis 1809, il était l’éditeur du journal louisianais « L'ami des Lois ». Il combattit le 8 janvier et fut l’imprimeur officiel de l’armée américaine jusqu’à la promulgation du traité de paix. [10]Mais nous pouvons citer aussi Louis Joseph Paul Antoine de Garrigues de Flaugeac, ancien officier de dragon de l’Empire ayant fait la campagne d’Italie et l’expédition de Saint-Domingue où il fut fait prisonnier par les Anglais. Lorsqu’il fut enfin libéré de sa prison cubaine, le bateau devant le ramener en France fit naufrage. Le navire marchand qui le sauva le déposa en Louisiane où il s’établit définitivement. Il devint sénateur louisianais en 1812 et alors que son poste pouvait le dispenser d’être engagé, sollicité par Jackson pour son expérience, il participa à la bataille de Chalmette. D’après certains historiens, ce serait lui qui aurait tué le général Packinham.[11] D’autres noms pourraient encore être cités…
Défaits donc, les Anglais rembarquèrent le 4 février (jour où Washington apprit enfin la nouvelle de la victoire) et malgré les lourdes défaites subies, ils s’apprêtèrent à attaquer Mobile le 12 février. Mais, dès le 24 décembre 1814, à Gand un traité de paix avait été signé maintenant un statu quo d’avant le conflit. Dès l’annonce de ce traité, les troupes anglaises quittèrent le fort et partirent vers leur base antillaise. Washington prit connaissance du traité de paix le 13 février et envoya aussitôt un courrier pour avertir La Nouvelle-Orléans.
Dès le 15 février, de par un échange de prisonniers, les Louisianais avaient appris la bonne nouvelle. Mais le général Jackson attendait l’avis officiel de ratification du traité venant de Washington. Toutefois, le temps passait trop lentement pour les membres de la milice toujours mobilisée au lendemain de la bataille. Quelques Français non naturalisés américains pour retourner à leurs affaires demandèrent au consul de France Anne Louis de Tousard un certificat de nationalité française. Cela déplut fortement au général Jackson qui avait précédemment déclaré la loi martiale et détenait donc tous les pouvoirs. Il décida par représailles d’exiler lesdits Français à Bâton Rouge. Le 3 mars, Louis Louaillier un Français naturalisé américain, membre de l'Assemblée législative louisianaise s’en émut dans une lettre publiée au « Courrier de la Louisiane ». Jackson le fit emprisonner pour trahison, accusation passible de peine de mort.[12] En vertu de la loi américaine, le juge Hall signa un habeas corpus[13] concernant Louaillier. Mais en vertu de la loi martiale qu’il venait d’imposer, Jackson expulsa le juge de la ville jusqu’à la ratification du traité de paix. Le surlendemain, averti officiellement de ladite ratification, le général leva la loi martiale et fit libérer les prisonniers. Le juge Hall revenu de son exil temporaire, tenace, convoqua le général devant le tribunal pour violation de l'autorité judiciaire et le condamna à une amende de mille piastres. A la sortie du tribunal, Jackson fut porté en triomphe par les baratariens récemment amnistiés dont Dominique You et René Beluche. Ce dernier fils de Français habitant en Louisiane suivit Bolivar dans sa lutte pour l’indépendance du Venezuela, et devint amiral. [14] Cette symbolique victoire de la jeune nation américaine sur les Anglais fut fêtée pendant longtemps comme la première grande bataille remportée sans l’aide de pays allié. Le concours des nombreux Français de La Nouvelle-Orléans fut pour cela un peu oublié. Quant à Andrew Jackson l’aura apporté par cette victoire lui permit de devenir Président des Etats-Unis en 1829. De nombreux réfugiés français affluèrent encore aux Etats-Unis avec l’arrivée de Bourbon en France, dont le général Lallemand… Son périple américain sera le sujet d’un futur article. Pour aller plus loin :
Quel révolutionnaire français était Jean Leclerc éditeur du journal louisianais "L’Ami des Lois" ?
Un royaliste parmi les bonapartistes... ( ou le séjour du baron de Montlezun à La Nouvelle-Orléans durant l’hiver 1816/1817)
[1] Nicolas Terrien « des patriotes patrie – histoire des corsaires insurgés de l’Amérique Espagnole (1810-1825) » les Perséides 2015
[2] Né dans le sud-ouest de la France, après avoir participé à l’expédition de Saint-Domingue, il rejoint son frère Pierre flibustier en Louisiane et ils créent le « royaume de Barataria ». Après la bataille de La Nouvelle-Orleans, ils reprennent Galveston à Louis Michel Aury et jouent un double jeu entre les indépendantistes mexicains et le gouvernement Espagnol. Pierre meurt en 1821 dans le Yucatán, quant à Jean soit en 1823 dans un combat naval contre l’Espagne, soit en 1826 lors d’un ouragan.
[3] Il restera un éternel partisan de Jackson qui avait dit de lui qu’il avait « fait preuve d'une compétence peu commune sur le champ de bataille » et décédera à La Nouvelle-Orléans, officiellement rangé de la piraterie
[4] Ayant participé à la bataille de la Nouvelle-Orléans, il décédera dans cette même ville le 3 janvier 1823.
[5] Elle était la possession de Jacques Villeré fils de Joseph Roi de Villeré, secrétaire naval de la Louisiane sous Louis XV, Jacques Villeré devint gouverneur de Louisiane de 1816 à 1820
[6] Après leur départ de Louisiane, due à leur défaite, ils abandonnèrent les combattants afro-américains. Nombre d’entre eux se réfugièrent dans le « Negro fort » bâtis par les Anglais sur la rivière Apalachicola en Floride servant de colonie aux esclaves en fuite. En 1816 sous l’ordre de Jackson, le fort (pourtant alors en Floride espagnole) fut attaqué au canon et lors de l’explosion du magasin de poudre, 334 personnes décédèrent.
[7] N.B à cette époque un créole francophone est un une personne née en Louisiane aux origines françaises
[8]A Gigot « la démocratie autoritaire aux Etats-Unis - la jeunesse et la vie militaire d’Andrew Jackson » in Revue des Deux Mondes t 57 1883
[9] Il fit des études à l’Académie Royale d’Architecture à Paris, il fut architecte de La Nouvelle-Orléans et surtout de Bâton-Rouge. Ses mémoires de la bataille sont une source intéressante des évènements. Il meurt dans le Cantal en 1837 après avoir été architecte à La Havane
[10] C Augris « Jean Théophile Victoire Leclerc, un révolutionnaire Enragé » Epub 2019
[11] Il décédera en Louisiane en 1845 – C-A Saby « les naufragés de l’Empire aux Amériques » the book édition 2016.
[12] Pourtant le 15 janvier dans un encart publié par les autorités dans « l'Ami des Lois », le zèle et la philanthropie de Louiallier avaient été loués.
[13] Notion juridique ne permettant pas d’emprisonner quelqu’un sans jugement afin d’éviter toute décision arbitraire
[14] Mort en au Venezuela en 1860, ses restes reposent au panthéon du pays.
A lire aussi :
Pierre-François PEIRANO, « Les représentations de la bataille de La Nouvelle-Orléans », E-rea http://journals.openedition.org/erea/5209
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