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Quel révolutionnaire français était Jean Leclerc éditeur du journal louisianais "L’Ami des Lois" ?



Avec les deux vagues d’émigration de réfugiés de Saint-Domingue vers la Louisiane en 1804 puis en 1808, il eut à La Nouvelle-Orléans un foisonnement de la presse francophone à La Nouvelle-Orléans. Et parmi ces nouvelles publications fut lancé, par un certain Jean Leclerc,

« l’Ami des lois » qui deviendra en 1815, « L’Ami des lois et Journal du soir »[1]. Des historiens et auteurs américains de la fin du XIXe diront de lui :

« Deux autres journaux d’un ordre plus élevé méritent d’être honorablement mentionnés. C’étaient l’Ami des Lois, édité par Leclerc, et le Courrier de la Louisiane par Thierry.

Ce dernier écrivait fréquemment des articles de mérite extraordinaire. Ils étaient graves, nobles, parfois sarcastiques, mais jamais frivoles ni manquants de dignité.

Leclerc était d’un caractère différent. L’esprit de Leclerc était plus léger. Si Thierry était le Richard Cœur de Lion de la presse, Leclerc était son Saladin, et extrêmement combatif. Mais il utilisait la lame de Damas au lieu de la hache de combat. Il se réjouissait de la satire et du sarcasme, qui, cependant, dégénéraient en un langage grossier dépassant les limites de la décence polie ». [2]

  « Jean Leclerc est le taon le plus piquant et le plus spirituel que la Louisiane ait connu. Il devait être une peste pour tout le monde, car personne n’était à l’abri de ses traits pas mêmes les juges. Il faut lui pardonner ses attaques pleines de malice, car elles ont déchaîné le rire de toute la ville.

(...) Leclerc acquit bientôt la réputation d’écrivain sarcastique par excellence. Toutefois, ses articles ne dépassaient pas les limites de l’honnête décence. Il ignorait le mot peur et était toujours prêt à recevoir avec les armes de leur choix les personnes qui se sentaient blessées par sa prose. » [3]


Ces deux analyses nous décrivent un journaliste dont la plume acérée écrivait des articles au vitriol et prêt à tout pour une « punchline », l’emmenant même devant un juge ; mais ce n’était qu’une facette de sa personnalité.

Car c’était un homme de conviction et de courage, n’hésitant pas à faire partie des vaillants défenseurs de La Nouvelle-Orléans lors de la grande bataille du 8 janvier 1815[4].

Son journal « L’ami des lois » qui relatait la vie louisianaise, sa politique, celle des États-Unis d’Amérique, ainsi que celle du monde ; se voulait aussi le chantre de toutes les causes révolutionnaires sud-américaines et surtout mexicaine. Ainsi « l’Ami des Lois » reproduira des proclamations de gouvernements provisoires indépendantistes en lutte contre le pouvoir madrilène.[5]

À La Nouvelle-Orléans Jean Leclerc fut l’ami de ce que certains ont considéré comme des « pirates » tels que les frères Laffite, Renato Beluche, Dominique You et Louis-Michel Aury, mais qui étaient aussi des corsaires avec lettres patentes de ces nations insurgées.

Ces corsaires furent aussi soutenus par des financiers américains espérant y trouver un bénéfice, eux aussi ami de Jean Leclerc comme Edward Livingston, Auguste Davezac.[6]

Son journal fut un temps mis à disposition de la cause francophone et lors de la première campagne électorale louisianaise participa à la campagne électorale pour que le gouverneur soit « francophile ».

Notre journaliste louisianais fut aussi en relation, avec les bonapartistes de La Nouvelle-Orléans. Avec l’annonce du retour de Louis XVIII en France, il se fit un grand critique du pouvoir, car même s’il avait pris la nationalité américaine, l’idée du retour des Bourbons sur le trône de France lui était insupportable.

Car saviez-vous que c’était un ex-révolutionnaire français, ayant son nom indiqué dans certains livres d’histoire consacrée à cette période ? Et qu’il eut maille à partie avec Robespierre comme il l’écrit en 1811 dans un journal concurrent, néanmoins ami :

« J’invite le public à lire avec attention, l’article inséré aujourd’hui dans l’Orléans Gazette. Rien n’est plus capable de les guider pour les élections qu’ils sont à la veille de faire. Dans le fait, si la révolution Française fut si atroce et si (mot illisible) si on chercha à envahir les propriétés (?) d’autrui, c’est parce ce que la can… du barreau s’empara des assemblées et y porta ses habitudes ; ROBESPIERRE était avocat DANTON l’était aussi ; CARRIER était procureur : pendant que ces honnêtes gens dominaient, les jurisconsultes éclairés et probes étaient envoyés en prison et de là à l’échafaud.

Alors quelques hommes honnêtes et courageux, osaient aller visiter dans les prisons les civils désignés par les assassins judiciaires.

j’ai été emprisonné deux fois dans ma vie ; la première par ordre de ROBESPIERRE ; la seconde, par celui du Juge MARTIN.[7] Dans l’une et l’autre circonstance, j’ai excité l’intérêt des hommes honnêtes ; mais j’ai eu contre moi ces écrivassiers qui débitent de plates calomnies, et se dispensent de les signer, plus encore par crainte que par honte. Ce sont des les lâches qui ensanglantent les révolutions, les braves en sont les victimes.

J. Leclerc »[8]



De plus, son nom fut même cité dans la Sainte-Famille d’Engels et Marx comme premier germe du communisme :

« La Révolution française a fait germer des idées qui mènent au-delà des idées de tout l’ancien état du monde. Le mouvement révolutionnaire, qui commença en 1789 au Cercle social, qui, au milieu de sa carrière, eut pour représentants principaux Leclerc et Roux et finit par succomber provisoirement avec la conspiration de Babeuf, avait fait germer l’idée communiste que l’ami de Babeuf, Buonarroti, réintroduisit en France après la révolution de 1830. Cette idée, développée avec conséquence, c’est l’idée du nouvel état du monde. »

Effectivement, Jean Leclerc le journaliste louisianais était la même personne que Jean Théophile Victoire Leclerc D’oze (Doze, Doz…), plus connu comme Leclerc de Lyon, le signataire avec Varlet du manifeste rédigé par l’abbé Roux, et un des principaux représentant du courant des enragés.

L’enragé, époux de Pauline Léon l’ex-présidente du club des citoyennes républicaines, après avoir survécu à la Terreur, disparaissait mystérieusement à la fin du Directoire, et cela malgré de nombreuses recherches. Les preuves et le récit de sa seconde vie en Louisiane tout aussi étonnante que sa première sont enfin détaillés dans « Jean Théophile Victoire Leclerc, la vie d’un enragé »[9], et en voici en résumé sa première vie comme révolutionnaire français.


Jean Théophile Victoire Leclerc, dernier d’une fratrie de trois sœurs et deux frères aînés était né le 22 décembre 1771 au lieu-dit de la « Coste » à Lézigneux, commune proche de Montbrison dans le département actuel de la Loire. Il était issu d’une longue ligné d’ingénieurs des ponts et chaussées dont son père Grégoire Leclerc époux d’Antoinette Deville dite Laboulais. Après avoir vécu un temps dans le Forez, la famille suivit Grégoire à Thiers où Jean Théophile pendant un temps fut élève en philosophie au collège de cette ville[10]. Son éducation sera ensuite prodiguée par son père.

Aux prémices de la Révolution, ses deux frères Nicolas François Angélique et Hilaire Antoine sont envoyés aux Antilles tenter leur chance. Lorsque les événements de l’été 1789 éclatèrent, Grégoire fit enrôler aussitôt Jean Théophile dans la garde nationale de Clermont-Ferrand où ils résidaient depuis peu. Jean Théophile écrivit lui-même : Je me fis inscrire un des premiers sur le registre de la garde nationale de Clermont-Ferrand que mon père habitait alors et quoiqu’à mon âge et ma petite taille puissent me dispenser du service, je m’en acquittai régulièrement jusqu’au mois de mars 1790. »[11] date où Jean Théophile partit aussi tenter sa chance outre-Atlantique[12]. Il embarqua à Bordeaux pour la Martinique y rejoindre ses deux frères aînés dans le but de devenir « commis marchand. » [13]

Il arriva à l’automne 1790 la Guadeloupe pour participer à l’insurrection[14] qui fut réprimée par l’autorité royaliste gouvernant sur les deux îles[15]. Et Jean Théophile, fait prisonnier, fut renvoyé avec d’autres en France dans la gabarre l’Espérance[16]. Mais l’état d’esprit des Autorités royalistes des îles était à l’opposé de celui de la population de Lorient. Lorsque la gabarre arriva le 24 juillet 1791, des officiers royalistes furent reconnus et pris à partie par des soldats ayant servis dans les îles, une menace d’émeute gronda pendant 48 heures. Jean Théophile qui arriva ainsi à Lorient comme prisonnier « dénué de toutes ressources » fut donc bien accueilli dans cette ville aux idées révolutionnaires. Il s’inscrivit au club des jacobins[17] de Lorient et le 28 septembre, sous le nom de Leclerc Doze s’enrôla comme volontaire dans la sixième compagnie du premier bataillon des gardes nationales du Morbihan à Vannes.[18]

Depuis l’entrée au port de Lorient de l’Espérance, plusieurs autres navires arrivèrent des Antilles avec la même problématique, des soldats révolutionnaires renvoyés en France avec des cartouches infamantes,[19] mais accueillis comme des héros par les populations portuaires. Ce fut le cas pour le bataillon du Forez. Leclerc raconta : « Les grenadiers du régiment de Forest déportés des colonies par ce même gouverneur dont j’avais été la victime débarquèrent au Port-Louis, le Ministre Narbonne les flétrit par un jugement arbitraire ; ils étaient au désespoir. »[20] Une souscription est lancée pour financer le voyage à Paris permettant de conduire ces sous-officiers auprès des plus hautes autorités parisiennes afin qu’ils soient réhabilités et Leclerc est nommé leur défenseur. Et le 23 mars 1792, il honore avec brio cette mission à la société des jacobins de Paris.[21] Fort de cette gloire, il s’enhardit et le premier avril 1792 toujours devant la même société, il lit sous le patronyme de Le Clerc-Doze, une lettre écrite par lui-même adressée au Roi, virulent pamphlet anti royaliste.[22]

Le 27 du même mois, il quitte Paris pour rejoindre l’armée du Rhin. Mais, le 22 juin tandis qu’il effectue une mission dans le Brisgau, il est dénoncé par Dietrich, le maire de Strasbourg, qui envoie à Pétion, maire de Paris, le signalement de ce particulier très suspect.[23] Jean-Théophile retourne donc à Paris et se justifie en accusant Dietrich ne pas être un vrai révolutionnaire. Il reçoit alors une affectation « dans les hôpitaux ambulants de l’armée du centre ». Durant l’hiver 1792/1793, il obtient une permission de trois mois qu’il passe en partie auprès de ses sœurs à Montbrison.[24] Mais ayant pris goût aux joutes oratoires, il en profite aussi pour intervenir à Paris, les 2 et 3 février 1793, à la Société fraternelle des deux sexes au club de jacobins. Suite à sa première intervention, il fut chargé de rédiger une pétition contre l’argent marchandise, dont il lira le projet le lendemain. [25]

À la fin de sa permission, il fut transféré à l’état-major de l’armée des Alpes basé à Lyon.[26] Dans cette ville, il adhéra au Club central et se lia avec Marie Joseph Chalier, qu’il avait rencontré précédemment à Paris. Le jacobin Chalier et ses alliés dirigèrent la ville de Lyon d’une main de fer, mais la menace girondine les faisait vaciller. Et voyant le vent tourner, début mai Jean Théophile fut envoyé comme député officieux du département du Rhône-et-Loire. Il écrira « député des patriotes » sans plus de précisions. Le 9 mai, Leclerc rédigea un billet à Chalier : « Ami rappelle-toi de ta promesse, de ta promptitude surtout. Sous peu, je serai à Lyon, je te dirai le reste, et la patrie sera sauvée. Adieu. » [27] Les interventions pleines de fougue et de violence verbales de ce jeune homme de 21 ans interpellèrent le Jacobin Tarpon qui écrivit le 11 mai à un ami domicilié à Lyon :


« Ami un jeune homme, nommé Leclerc, est arrivé mercredi ! il parut de suite aux jacobins, il y fit part de ses intentions, on fut satisfait de son raisonnement ; mais quant à son plan, il aurait dû le tenir plus secret. »[28]


Quel était son plan ? Dans le 18e numéro de « l’Ami du Peuple de Leclerc » du 1er septembre il semble le dévoiler :


« J’avais trouvé ce moyen en mon particulier dans la formation d’une légion révolutionnaire et j’avais conçu le plan, d’accord avec Châlier de faire jeter en une nuit, six mille aristocrates dans le Rhône. Beaucoup d’excellents patriotes, à qui je parlai de ce projet, pâlirent et frissonnèrent d’horreur. Et bien ! qu’ils aillent contempler sur les débris fumants de cette cité les funestes effets de leur modération (...) »[29]


Le 12 mai donc, Théophile Leclerc se présenta aux jacobins comme député des autorités constituées de Lyon. En vrai partisan de « Chalier », il proposa « d’établir le machiavélisme populaire » et « d’épurer la nation dans le sang ».[30] Mais Leclerc avait sous-estimé la force girondine dans la Capitale, car même si les partisans brissotins étaient plutôt en province, leurs leaders étaient à la tête des instances dirigeantes du pays, pouvoir que souhaitaient leur contester les jacobins parisiens. Les interventions tempétueuses de ce jeune électron lyonnais pouvaient s’avérer gênantes. Et donc la légitimité de la mission de Leclerc fut contestée, même au sein des jacobins. Le 16 mai, Jean Théophile se présenta à l’assemblée du Conseil général de la commune de Paris regrettant la faiblesse des montagnards. Il termina en disant qu’il n’y avait qu’un seul moyen de sauver la République « (...) qu’il faut que le peuple se fasse justice, parce que la justice habite toujours au milieu du peuple et qu’il ne se trompe jamais[31]. Le 19 mai au soir, il fut agressé sur le Pont-Neuf[32], cette agression suscita quelques commentaires à la séance des jacobins du lendemain. Pour eux, l’inconséquence de Leclerc avait entraîné cette réaction contre-révolutionnaire, ils demandèrent donc à Leclerc de s’expliquer. Il y eut même deux commissaires nommés pour cela. Malgré tous les efforts et la fougue de Leclerc, ou peut-être aussi un peu à cause,[33] comme on vient de le voir, Chalier ne fut pas sauvé. Une insurrection via les clubs rolandistes le renversa ainsi que le pouvoir jacobin lyonnais le 29 mai.[34]

À Paris, c’est l’inverse qui allait se produire, les factions et les sections les plus populeuses grondaient. La vie était chère, l’inflation et l’effondrement de l’assignat rendaient le prix du pain prohibitif. Les brissotins étaient attaqués de toutes parts par les pétitions des comités de sans-culottes, dont celles des citoyennes républicaines révolutionnaires.[35] Pour contrôler ces pétitions, ils créèrent une « commission des douze » qui n’était composée maladroitement que des leurs.

L’annonce précédemment de la trahison du général Dumouriez[36] mit les girondins dans l’embarras, ce que ne manqua pas d’utiliser Marat et Robespierre. Jean Théophile Leclerc sachant rebondir se rapprocha de Roux[37] et de Varlet[38] et fut nommé membre du comité révolutionnaire de l’Évêché dès le 29 mai, et le 31 à la commission des Postes avec pour mission de trier les lettres suspectes. Le même jour, à la sonnerie du tocsin les insurgés de l’Évêché arrivèrent en masse en fin d’après-midi à l’assemblée pour y adresser de multiples pétitions alors qu’une foule s’était amassée autour de l’assemblée. Ils n’obtiendront que la suppression de la controversée commission des douze, et cela malgré l’intervention de Robespierre. Nombreux furent les mécontents du résultat. Par exemple Leclerc qui à la séance du 1er juin des jacobins lança : « Je serai court, l’agonie des aristocrates commence : le tocsin sonne ; le canon d’alarme a été tiré. La Commune est debout ; le peuple se porte à la Convention ; vous êtes peuple, vous devez vous y rendre. »[39]

Le 2 juin, Paris apprit que les jacobins avaient été défaits à Lyon. Le comité insurrectionnel avec près de 80 000 citoyens issus de sections et clubs, les sans-culottes et la garde nationale encerclèrent l’assemblée et demandèrent la destitution des députés girondins. L’assemblée fut obligée d’obéir à « la voix du peuple » et ces députés furent arrêtés. De nombreux jacobins en étaient satisfaits et voulaient en rester à ce statu quo, mais certaines voix à leur gauche se firent entendre.

Ainsi le 4 juin 1793, à la Convention Leclerc martela que : « C’est à tort que l’on croit la révolution achevée… » Il fut hué.[40] Mais il était pourtant vrai que quelques girondins mis en résidence surveillée s’étaient enfuis, ce dont protesta Leclerc avec véhémence :« Pourquoi mettez-vous tant de lenteur à vous défaire de vos ennemis ? pourquoi craignez-vous de répandre quelques gouttes de sang ? » Cela lui vaudra une courte arrestation.[41]


Pendant ce temps-là, la constitution était en cours de rédaction et le 22 juin 1793, Varlet, Roux et Leclerc intervinrent aux cordeliers, leurs discours respectifs allaient dans le même sens. Ils réclamaient une réglementation des prix, et critiquaient la notion de propriété. Roux se plaignait que l’article punissant de peine de mort les agioteurs puisse ne pas être y être inclus ! Ils furent alors désignés pour présenter à la Convention une pétition qui restera dans l’histoire sous le nom de « Manifeste des enragés ». Rédigée par l’abbé Roux et signée par Leclerc et Varlet, elle fut proposée le 25 juin.[42] En voici un court extrait :

« (...)La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. (…)

Les enragés ont obtenu une part de leurs revendications avec la peine de mort pour les accapareurs, mais cela s’arrêterait. Car cette voix du peuple commença à faire peur aux Montagnards issus pour la plus grande partie de la bourgeoisie. Et donc à partir du 27 juin, une lutte fut engagée contre eux dont le premier acte se termina par l’exclusion de Roux et Leclerc du club des Cordeliers, actée de par l’arrivée en masse de jacobins dont Robespierre, Hébert et Collot d’Herbois.[43]

Les enragés trouvèrent intelligemment un moyen de pouvoir riposter face aux jacobins. En effet après l’assassinat de Marat le 14 juillet et l’émotion suscitée, ils profitèrent de sa notoriété et créèrent deux journaux. Ce fut le « Publiciste de la République Française » lancé par Roux le 16 juillet, et le 20 juillet, par notre jeune révolutionnaire « l’Ami du Peuple de Leclerc ».



Dans son journal, Leclerc était très virulent, il affirmait son antiparlementarisme, il dénonçait le complot des riches et des aristocrates accaparant les vivres, et demandait la peine de mort contre ces accapareurs. Il fut soutenu par les actions de certains membres de la Société des républicaines révolutionnaires qui partagèrent son point de vue. En août, il se mit à attaquer la Convention n’appliquant ni la taxation des denrées de première nécessité et ni l’arrestation et la mise à mort des suspects.


Le 27 juillet Robespierre entra au comité de salut public, et une lutte s’instaura entre lui et les enragés.

Le 5 août à la société des jacobins, Robespierre dit en personne :

« Je vous dénonce en particulier deux hommes ; Jacques Roux et le nommé Leclerc, qui prétendent continuer ses feuilles patriotiques (de Marat) et faire parler son ombre pour outrager sa mémoire et tromper le peuple. (...) le second est un jeune homme qui prouve que la corruption peut entrer dans un jeune cœur, il a des apparences séduisantes, un talent séducteur, c'est Leclerc, un ci-devant, le fils d’un noble. Il était à Lyon, où il jouait le patriote, lorsque l’on égorgea l’infortuné Chalier. Il fut en grande partie la cause de sa mort. Parti de là, où sa conduite l’avait rendu exécrable à tous les patriotes, il vint à Paris intriguer, mentir à la Convention ; il vint ici, suivi de quelques hommes imposteurs comme lui, qu’il sut rendre intéressants comme lui et qui sont maintenant dispersés ; il est associé à Jacques Roux, et ces deux hommes, dénoncés par Marat comme deux intrigants, deux émissaires de Coblenz ou de Pitt qui, pour mieux empoisonner les sources de la crédulité populaire, ont pris pour le nom de Marat. » [44]

Leclerc répondit dans son journal en défiant l’Incorruptible « de prouver une seule de ses accusations ». Le même jour, Simone Evrard, fiancée de Marat, dénonce à la barre :

« Jacques Roux et le nommé Leclerc, qui prétendent continuer ses (Marat) feuilles patriotiques et faire parler son ombre pour outrager sa mémoire et tromper le peuple. C’est là qu’après avoir débité les lieux communs révolutionnaires, on dit au peuple qu’il doit proscrire toute espèce de gouvernement, c’est là qu’on ordonne en son nom d’ensanglanter la journée du 10 août, parce que de son âme sensible déchirée par le spectacle des crimes de la tyrannie et des malheurs de l’humanité sont sortis quelquefois de justes anathèmes contre les sangsues publiques et contre les oppresseurs du peuple. Ils cherchent à perpétuer après sa mort la calomnie parricide qui le présentait comme un apôtre insensé du désordre et de l’anarchie. »

En fait, la pétition qu’elle présenta semble avoir été écrite par Robespierre lui-même, qui demanda que Roux et Leclerc « deux écrivains mercenaires[45] » fassent l’objet d’une enquête du Comité de sûreté générale. Roux fût arrêté une première fois le 22 août, libéré pour être de nouveau incarcéré le 5 septembre. Cette période fut une vraie lutte de pouvoir entre les extrêmes. Robespierre mit en garde les jacobins contre des mesures exagérées que pourrait prendre la République. Il est vrai que par la situation intérieure, le ravitaillement en matières premières était arrivé à un point catastrophique,[46] tandis que la colère grondait chez les sans-culottes, accompagnée un temps par les plus radicaux comme les enragés. Leclerc écrivit ainsi le 30 août :

« Trois heures de temps passé à la porte d’un boulanger formeraient plus d’un législateur que quatre années de résidence sur les bancs de la Convention »[47]

La Terreur allait être mise à l’ordre du jour, elle sera combattue en un ultime sursaut par Roux et Leclerc :

« On avait demandé qu’on mette la terreur à l’ordre du jour on y a placé le funeste esprit de vengeance et de haine particulière. Le fort écrase le faible et le met sous les verrous. Comme on n’a que ce moyen de me faire taire, j’attends à chaque instant la lettre de cachet qui doit le couper la parole. » [48]

Mais les enragés avaient déjà perdu la lutte, avant de disparaître de l’histoire de la Révolution. Et en un ultime baroud d’honneur, Leclerc ayant appris qu’à la société des jacobins Desfieux un proche de Danton avait annoncé une commission contre lui[49], il publia dans « l’Ami du Peuple de Leclerc » du 11 septembre :

« Je ne me tairai pas, je ne m’évaderai pas, et cent mille guillotines ne m’empêcheront pas de dire au peuple la vérité tout entière. »

Puis dans celui du 12 :

« Le système de calomnie se perpétue et les ennemis de la République, que mon pinceau épouvante, épuise sur moi tout le venin dont ils sont imbibés (...) on a nommé une commission pour rechercher tous mes crimes et par quel organe a-t-elle été demandée ? par celui de Desfieux (...) »

Toutefois, face à la menace de plus en plus importante et étant soumis à la levée des 3000 000 hommes, il cessa la publication de son journal le 15 septembre 1793, son « ode à la liberté » concluant ce dernier numéro restera pendant longtemps sa dernière trace écrite.[50]

Jean Théophile Leclerc épousa à Paris le 28 novembre, Pauline Léon première présidente de la société des républicaines révolutionnaires et fut enrôlé dans le bataillon de la section de Marat pour être incorporé à la Fère, loin de l’agitation parisienne.

Après le discrédit des enragés, les hébertistes étaient devenus les uniques fers de lance des revendications sociales les plus radicales. Ils firent peur et furent arrêtés par le Comité de salut public dans la nuit du 13 au 14 mars 1794. Proche de leurs idées, par précaution, et assistant très certainement encore à des réunions de clubs, Pauline rejoignit son mari toujours cantonné à La Fère le 17 mars 1794.[51] Le 3 avril, la Terreur se souvint des quelques enragés[52] restants et de leurs anciennes alliées de la Société des républicaines révolutionnaires en faisant arrêter, sur ordre du Comité de sûreté générale, Pauline Léon et Jean Théophile Leclerc. La demande de passeport de Pauline Léon pour rejoindre son époux avait certainement alerté les autorités. Le couple Leclerc fut interné séparément à la prison du Luxembourg le 6 avril. Ils attendirent leur procès dont l’issue risquait fortement d’être fatale comme pour beaucoup avant eux. Mais le 9 Thermidor arriva. Robespierre, Fouquier-Tinville… tombaient à leur tour, les portes des geôles s’entrouvrent légèrement pour qui savait prouver son anti-robespierrisme.[53] Jean Théophile Leclerc sortira le 10 août, précédée par Pauline de quelques jours.[54]

Le 5 septembre 1794, par décret il fut rappelé à son poste et rejoignit son bataillon.[55] Dès novembre de la même année, il commença à travailler pour la commission d’Instruction publique à Paris.[56] En cette période où les sans-culottes étaient mal vus, notamment par les muscadins, le couple fit profit bas. De plus, Pauline Léon donna alors naissance à un fils. Mais lors de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV, Leclerc participa à la défense organisée par Bonaparte en incorporant le bataillon de 89, comme il l’écrira dans un mémoire :

« Citoiens

je datte de 89 ; comme guerrier républicain ou comme écrivain patriote, je n’ai cessé de payer ma dette à la patrie (...) j’ai pris les armes le 11 vendémiaire et j’ai passé les 12, 13, 14, 15 et 16 du même mois, auprès de la représentation nationale ; dans le moment du danger, mon poste fut aux thermopiles, c’est à dire dans la rue de la Convention (...). » D’avril à septembre 1796, il participe à la Campagne d’Italie, dont il écrira : « dix-huit mois de séjour en Italie pendant la dernière et glorieuse campagne, la connaissance de la langue italienne (...) »[57]

Mais en septembre 1797, il redevint fonctionnaire en tant que deuxième employé au bureau des musées, bibliothèques et fêtes nationales.[58] Le 8 octobre 1798, il demande auprès du Directoire exécutif à devenir commissaire en mer Égée, dernière trace connue de lui excepté une lettre de Pauline Léon de 1804 « signée épouse Leclerc » et se disant seule à assurer la subsidence de sa mère et de son fils. [59]

Et donc, après avoir très certainement vécu différentes aventures qui nous sont encore inconnues, il vécut une seconde vie et une fin mouvementées en Louisiane jusqu’à sa mort annoncée dans un journal louisianais durant l’année 1820. Il aurait pu avoir pour épitaphe une phrase qu’il écrivit dans "L’Ami des Lois" :

« Je poursuis ma route sans beaucoup m’inquiéter des bourdonnements qui, de tems à autre se font entendre à mes oreilles. »[60]

Christelle Augris

Pour aller plus loin :


[1] À Partir de l’an 1816, de nombreux de numéros de « L’ami des Lois et Journal du soir » sont disponibles sur https://news.google.com/newspapers [2] Edwin Whitfield Fay the history of education in Louisiana Washington 1890

[3]Edward Larocque Tinker « Les écrits de la langue française en Louisiane au XIXe siècle : essais biographiques et bibliographiques » H. Champion, 1933 Slatkine reprints Genève 1975 Bibliothèque de la Revue de littérature comparée n° 85 éditeur H. Champion 1932 [4] « l’Ami des Lois et journal du soir » du 1er juillet 1816 [5]Le 6 janvier 1814, Juan Mariano Picornell y fait insérer une « proclamation en faveur de l’émancipation de l’Amérique espagnole. » [6] Vincent Nolte “Fifty years in both hemispheres : or Reminiscences of the life of a former merchant” translated from the German 1779-1856 New York : Redfield

[7]Edward Larocque Tinker Jurist and japer - François Xavier Martin and Jean Leclerc with a List of their Publications in this Library and Elsewhere”-Bulletin of the New York Public Library, Astor, v.39 1935 « Son conflit avec le sieur Denis et le procès qui en découle avec le juge Martin » [8] « Le Courrier de la Louisiane » du 13 septembre 1811. [9]Christelle Augris « Jean Théophile victoire Leclerc, la vie d’un enragé » seconde édition enrichie sur Amazon [10]« Énigme proposée par M Leclerc Doze écolier de Philosophie au Collège de Thiers au Mercure de France » du samedi 17 décembre 1785 Gallica [11] AN F7 4774 « extraction, profession avant et depuis la Révolution, carrière politique et Révolutionnaire et état présent des affaires de Théophile Le Clerc né en décembre 1771 de Grégoire Leclerc ingénieur des ponts et chaussées à Montbrison et d’antoinette la Boulaie… » [12] Son père, après avoir décliné un poste à Riom en mars, décède le 19 octobre de la même année à Clermont-Ferrand [13]Mémoire de Leclerc. [14] Ibid. [15] Eugène-Édouard Boyer Peyreleau « Les Antilles françaises : particulièrement la Guadeloupe, depuis leur découverte jusqu’au 1er novembre » Paris. 1825.Volume 2 [16] « La Gabarre l’Espérance est également disposée à partir au premier moment, d’après la demande de Me les Commissaires qui désirent faire repasser en France différentes personnes sur ce bâtiment. »ANOM COL C8B 25 N° 30. Rapport sur la lettre des commissaires du roi datée du 23 avril 1791 (8 juillet 1791) [17]Mémoire de Leclerc [18]Ad 56 Registres d’inscription des volontaires L586 f 11 cité dans l’ouvrage de Claude Guillon « Deux Enragés de la Révolution Leclerc de Lyon et Pauline Léon » [19]Carte de congé absolu ou limité, portant le sceau du régiment et contenant l’état des services du porteur (Cartouche jaune, cartouche qu’on délivrait à un soldat dégradé ou renvoyé par punition.) [20] Mémoire de Leclerc [21] F.-A. Aulard « Société des Jacobins : recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris » 1889-97 Tome 3 Gallica. [22]« Discours de M. Le Clerc-Doze, prononcé aux Jacobins dans la séance du 1er avril 1792 ». Imp. de Henri IV, s. d., in-8 d 7p [23] « Le sieur Théophile leclerc doze français domicilié à Lorient département du Morbihan venant d’outre-rhin. »Firmin-Didot and Co « Annales historiques de la Révolution française » 1930 [24]Albert Mathiez « La vie chère et le mouvement social sous la Terreur » tome 1 Payot 1973 Gallica [25]« Le Créole patriote » du 4 février 1793 et « Le Créole patriote » du 5 février 1793 Gallica [26] Claude Guillon « Deux enragés de la Révolution Leclerc de Lyon et Pauline Léo » la Digitale 1993 p 179 [27]Georges Guigue « Registre du secrétariat général des sections de la ville de Lyon, 2 août-11 octobre 1793, suivi des Délibérations de la section de Porte-Froc, 26 mai-10 octobre 1793, publié d’après les manuscrits originaux, pour le Conseil général du Rhône » 1907 LXXIX Gallica [28] Ibid. [29]Claude Guillon « Deux enragés de la Révolution Leclerc de Lyon et Pauline Léon » La Digitale 1993 [30] Ibid. [31]J Morin « Histoire de Lyon depuis la Révolution de 1789 » T 2 1847 Gallica [32] F.-A. Aulard « La Société des Jacobins : recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris ». T.5/p 200 Gallica [33]Aimé Guillon « Mémoires pour servir à l’Histoire de la Ville de Lyon pendant la Révolution » Tastu, Baudouin frères : « Un jeune énergumène, nommé Théophile Leclerc, député du comité de salut public lyonnais aux Jacobins de Paris, s’y agitait avec fureur depuis plusieurs jours » Gallica [34]Même si la mairie de Lyon veut convaincre Paris de son patriotisme révolutionnaire, l’exécution de Chalier le 16 juillet n’aide pas. Paris envoie alors son armée pour réprimer la ville rebelle qui sera assiégée du 8 août au 9 octobre 1793. Le 17 octobre la Convention décide que la ville doit être détruite. Collot d’Herbois et Fouché se chargèrent de la répression. [35] Voir notice biographique de Pauline Léon [36]Général des armées de la république ; allié des girondins, devenu suspect après plusieurs défaites, il rejoint le camp autrichien. [37]Jacques Roux (1752-1794) prêtre ayant prêté serment à la constitution civile du clergé, il a accompagné Louis XVI à l’échafaud. Enragé, auteur du « manifeste », arrêté en septembre 1793, il préfère se suicider plutôt qu’être jugé par le Tribunal révolutionnaire. [38] Jean-François Varlet (1764-1837), enragé ayant signé le « manifeste », plusieurs fois arrêté pendant la Révolution. [39]F.-A. Aulard « La Société des Jacobins : recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris ». T.5 / p222. Gallica [40]P.-J.-B. Buchez et P.-C. Roux « Histoire parlementaire de la Révolution française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’en 1815 : contenant la narration des événements... précédée d’une introduction sur l’histoire de France jusqu’à la convocation des États-Généraux. » Tome 28 / p 157 — 158 Gallica [41]Claude Guillon « Deux enragés de la Révolution Leclerc de Lyon et Pauline Léon » La Digitale 1993 [42]P.-J.-B. Buchez et P.-C. Roux « Histoire parlementaire de la Révolution française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’en 1815 : contenant la narration des événements... précédée d’une introduction sur l’histoire de France jusqu’à la convocation des États-Généraux ». Tome 28 / par p 215 — Gallica

[43]« Mercure universel » du 5 juillet 1793 Retronews [44]F.-A. Aulard « La Société des Jacobins : recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris ». T.5 [45]P.-J.-B. Buchez et P.-C. Roux « Histoire parlementaire de la Révolution française, ou Journal des assemblées nationales depuis 1789 jusqu’en 1815 : contenant la narration des événements... précédée d’une introduction sur l’histoire de France jusqu’à la convocation des États-Généraux. » Tome 28 p 421-425 [46]Diane Ladjouzi « Les journées des 4 et 5 septembre 1793 à Paris. Un mouvement d’union entre le peuple, la commune de Paris et la convention pour un exécutif révolutionnaire » Annales historiques de la Révolution française, 321 | 2000, 27-44.

[47]« L’Ami du Peuple » n° XVII, 30 août 1793. [48]« L’Ami du Peuple » du 15 septembre an 2 n0 XXIV [49] « La Société des Jacobins : recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris » Paris 1891 [50]« Leclerc L’ami du peuple » partage Noir — Paris Pdf [51]Claude Guillon « Pauline Léon, une républicaine révolutionnaire » Annales historiques de la Révolution française 344 | 2006, 147-159. [52]Hormis Varlet. [53]F.-A. Aulard « La Société des Jacobins : recueil de documents pour l’histoire du club des Jacobins de Paris. » Tome 3 [54]AN AF/II/60 « Arrêté faisant sortir du secret Bertèche et Le Clerc, détenus au Luxembourg. an II, 21 thermidor 5-16 » et « Arrêté ordonnant la libération de Le Clerc et de George, du tribunal du IIIe arrondissement. An II, 23 thermidor. » [55]Claude Guillon « Notre Patience est à bout -1792-1793, les écrits des Enragés » Imho 2016 p180 [56]Ferdinand Buisson « Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » 1911 ifé [57]Ibid. [58]Claude Guillon « Notre Patience est à bout -1792-1793, les écrits des Enragés » Imho 2016 [59] Christelle Augris « Jean Théophile victoire Leclerc, la vie d’un enragé » seconde édition enrichie sur Amazon [60]Samuel J. Marino. Early French-Language Newspapers in New Orleans.” Louisiana History: The Journal of the Louisiana Historical Association, vol. 7, no. 4, 1966, pp. 309–321. JSTOR,

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