Dans l’Ouest de la France, à la toute fin du XVIIIe siècle, durant la Révolution française, se déroula une des pages les plus tragiques de l’histoire contemporaine : une guerre civile connue sous le nom de Guerre(s) de Vendée. La période la plus violente, celle des grandes batailles, de l’expédition outre-Loire, puis des colonnes infernales et de l’ultime résistance dure de mars 1793 (début de la révolte) au premier semestre 1796 (moment où la population déposa massivement les armes et qui vit disparaître les derniers chefs : Stofflet (fusillé en février), Charette (fusillé en mars), Sapinaud et d’Autichamp (capitulent en mai), Forestier (quitte la France au début de l’été)…).
La zone insurgée couvre un territoire assez vaste qui englobe la moitié nord du département de la Vendée, le nord des Deux-Sèvres, et des parties sud-Loire des départements de la Loire-Atlantique et du Maine-et-Loire.
Nous nous sommes posés la question si cette période sanglante avait laissé des traces dans les registres d’état civil, et avons concentré nos premières recherches dans le territoire insurgé du nord du département des Deux-Sèvres (zone la moins étudiée en règle générale) ; dans l’espoir de poursuivre ultérieurement cette recherche aux autres départements.
Première trace : l’absence de traces…
Nous avons recherché dans les registres d’une soixantaine de communes. Un premier constat s’impose : nombre de celles concernées par l’insurrection n’ont plus de registres d’état civil sur la période 1793-1796 ; soit plus aucun registre, soit des registres partiellement lacunaires. C’est le cas entre autres des communes d’Argenton-Château, Les Aubiers, Beaulieu-sous-Bressuire, Boismé, Bressuire, Brétignolles, Le Breuil-sous-Argenton, Cerizay, Chiché, Clazay, La Chapelle-Gaudin, Cirières, Combrand, Courlay, Étusson, Faye-L’Abbesse, La Forêt-sur-Sèvre, Geay, Genneton, La Coudre, Mauléon, Montravers, Noirlieu, Noirterre, Nueil-les-Aubiers, La Petite Boissière, Le Pin, Saint-Amand-sur-Sèvre, Saint-André-sur-Sèvre, Saint-Aubin-de-Baubigné, Saint-Clémentin, Saint-Porchaire, Voultegon, etc. Pour certaines d'entre elles, ces disparitions concernent même les registres paroissiaux antérieurs à la Révolution.
Sous la Restauration, la plupart de ces communes ont tenté de reconstituer les registres disparus à la suite d’une circulaire du gouvernement datée du 4 novembre 1814. Mais ces registres reconstitués ne sont bien souvent qu’une liste plus ou moins longue de noms et de dates, très succincte et sans précisions, rédigée sur les déclarations de témoins. Il est évident que ces enquêtes menées des années après ne mentionnent qu’une infime part des naissances, mariages et décès des années de troubles.
La disparition des registres s’explique de plusieurs façons :
Certains évènements peuvent avoir rendu impossible, momentanément, la tenue de ces documents. Ce fut le cas à Saint-Jean-de-Thouars dont un registre précise :
« Le trente mai mil sept cent quatre vingt treize ; l’officier public interrompus de ses fonctions par la prise de Thouars… » (2 E 256-7).
La « prise de Thouars » en question n’est autre que la bataille qui, le 5 mai 1793, vit les insurgés prendre d’assaut la ville (Saint-Jean est limitrophe de Thouars) défendue par le général Pierre Quétineau. Notons que les registres de Thouars, quant à eux, ne font aucune référence à ladite bataille (aucun acte de décès entre le 23 avril et le 9 mai – ce qui laisse penser que, comme ce fut le cas à Saint-Jean, les officiers communaux avaient d’autres occupations que de recenser les décès).
Notons quand même que les registres de Thouars (14 num 56/46) précisent qu’entre le 11 juin et le 1er septembre 1793, des prêtres de la ville ont tenu les registres des décès en «l’absence du citoyen Redon ex officier public, et la dissollution de la municipallité occasionnée par les Rebelles ».
Mais la raison principale reste la destruction de ces registres durant la guerre civile. Un grand nombre de communes ayant été incendiées, en particulier durant l’année 1794 lors du passage des colonnes infernales.
Lors de la tentative pour retranscrire les actes perdus sous la Restauration, certains rédacteurs n’ont pas hésité à rappeler les faits.
Ainsi à Clazay, il est précisé que la reconstitution des registres d'état civil a pour but de « réparer les désordres occasionnés par la révolution dans la tenue des dits registres » (expression que l’on retrouve dans d’autres communes) (4 E 402/1). À Cirières, la raison évoquée est plus précise : «l’incendie des registres de l’état civil causé par la guerre Vendéenne » (4 E 403/1). À Courlay, la mention est quasi identique à celle de Cirières, mais le rédacteur apporte une précision qui nous éclaire sur le ressenti des évènements un quart de siècles plus tard. Cette fois l’incendie qui détruisit les registres est le fruit de « la guerre qui a ravagé la Vendée » (4 E 403/1). Les actes reconstitués de Faye-L’Abbesse (4 E 402/1) précisent eux, que la rédaction des actes ne put se faire parce que « le pays était en insurrection » (acte de décès de Françoise Roi (page 9) aux environs de Noël 1793 et de Marie Dugast dans le courant de l’année 1793).
Précisons enfin, que la perte de ces documents est d’autant plus cruelle pour les chercheurs actuels, que pour certaines communes leur unique copie fut également détruite, accidentellement, lors de l’incendie des Archives départementales de Niort dans la nuit du 19 au 20 décembre 1805. Les registres reconstitués de Noirlieu, rappellent d’ailleurs ce dernier évènement en précisant que les documents ont disparu « tant par l’effet de la guerre civille que par l’incendie des archives du département » (4 E 402/1).
Heureusement, ces lacunes pour cette période révolutionnaire peuvent parfois être comblées par les registres de catholicité.
Des actes témoin des batailles
Pour ce qui est des communes ayant conservé tout ou partie de leurs registres, les actes évoquant la guerre sont d’un intérêt variable. Mais certaines communes sont plus riches en détail que d’autres. C’est le cas de Nueil-Les Aubiers où en juillet 1793, sont mentionnées dans les registres de catholicité plusieurs personnes tuées durant la bataille de Châtillon (Mauléon) (5 juillet 1793) (12 num 34/12), dont une originaire de la commune de Bretignolles (indication intéressante, montrant combien il était difficile, au cœur des troubles, de faire constater un décès dans la commune d’origine du défunt).
La bataille de Châtillon (3 juillet 1793) est également mentionnée dans les registres de catholicité de la commune de Saint-Aubin-de-Baubigné (J 2033). Là, également les idées du rédacteur de l’acte se devinent au travers du vocabulaire employé :
« Le quatre du mois de juillet mil sept cent quatre vingt treize a été inhumé par François Peridy et Aubin Viau, le corps de Jacques Doyer journalier âgé de cinquante huit ans ou environ assassiné le trois jour de l’invasion de Chatillon par les soi disant patriottes… »
Il est d'ailleurs intéressant de souligner que le vocabulaire employé dans les registres varie si le rédacteur est plutôt partisan de la révolte ou non. Le constat est évident en particulier sous la plume des prêtres rédacteurs des registres de catholicité pour qui les soldats de la Républiques sont des "assassins". Terme qui n'est pas employé par les rédacteurs des actes d'état civil des communes limitrophes de la zone d'insurrection et d'opinions plutôt républicaines.
Les actes des registres de catholicité de de la commune d’Étusson (J 2049) sont riches en souvenirs de victimes de batailles, certains parfois en nommant le lieu, d’autres en se contentant de préciser « mort au combat ». Ainsi, est tombé à la bataille de Coron (9 au 11 avril 1793) un certain Jacques XXX ; et André Besnard « au choc de Luçon (14 août 1793) a été pris prisonnier ou tué ».
En juin, Jean Frogé est « mort au combat » ; Jean Gaufreteau et Jean Richardeau sont « mort dans la même bataille » ; en juillet, Pierre Braud est également « mort au combat ». En septembre, un certain Retireau « a été pris et fusillé sur le champ par les républicains » et Louis Guillet « est mort de blessures recues au combat »…
La précision du lieu d’une bataille reste pourtant une exception, on la trouve néanmoins aussi dans les registres de catholicité de Noirterre, où immédiatement après la guerre ont été rédigées quelques pages, « registre de tous ceux ont été trouvé morts dans les campagnes ainsi que de ceux qui ont été tué dans les batailles selon le rapport des personnes cy après nommée qui se disent les avoir vu et connue. Ensemble des baptêmes qui se sont faits pendant les temps cy après marqués » (1 J 272). Ainsi y est rappelé le souvenir de « Pierre Garsuault bordier a la Chapelle Gaudin a été tué au bois du moulin aux chèvres » (sans précisions de date – Il y eut deux batailles au lieu-dit « Bois du Moulin aux Chèvres » (Nueil-les-Aubiers), le 3 juillet 1793 et le 9 octobre 1793).
Vers la défaite des Vendéens
À l’automne 1793, le territoire insurgé est enserré par les troupes de la République (entre 70 000 et 100 000 hommes [JC Martin – Les Vendéens – PUF avril 2022] ). Ces armées entrent en « terres ennemies » poussant la Grande Armée Catholique et Royale d’Anjou et du Haut Poitou à traverser la Loire après la terrible défaite de Cholet (17 octobre 1793) entraînant avec elle une population composée d’environs 60 000 à 80 000 personnes dont approximativement 20 000 hommes en armes. Le reste étant les femmes, les enfants, les vieillards, les blessés et des hommes non-combattants qui fuient l’avancée des Républicains (JC Martin – Op cit).
Le nord Deux-Sèvres fut moins concerné par cet exode que l’Anjou, même si les communes de Boismé ou de Saint-Aubin-de-Baubigné, suivirent leurs généraux, Lescure et La Rochejaquelein dans cette « Virée de Galerne ». Mais la plupart des insurgés « restèrent au pays » entrant en guérilla, se cachant ou déposant les armes. Pourtant quelques registres évoquent cette période de la fin de 1793.
Les registres de Saint-Hilaire-des-Échaubrognes (commune depuis rattachée à Saint Pierre-des-Échaubrognes et faisant partie du département du Maine-et-Loire avant de revenir dans celui des Deux-Sèvres) au début de 1794, comportent une note évoquant la traversée de la Loire (2 E 281-5) : « Les premiers actes de ce registre ont été écrits par un commissaire et non signés par lui après le passage de la Loire, temps où il ne parraissait aucun prêtre ».
Un autre témoignage évoque la terrible marche des Vendéens qui les mena à leur perte devant les murs de Grandville, dans les rues du Mans, devant Angers et dans les marais de Savenay… Un acte dans les registres de catholicité de Nueil-les-Aubiers qui précise : « Dans le courant du mois de décembre mil sept cent quatre vingt treize Jean Baptiste Burget charon âgé de vingt six ans a été vu mort à La Flèche (bataille du 8 au 11 décembre 1793) par un nommé Chatelet d’Anjou » (12 num 34/12).
Mais les combats outre-Loire ont fait oublier que pour la population qui n’a pas suivi cette déroute, la guerre continuait malgré la présence des troupes républicaine. Ainsi peut-on lire dans les registres d'état civil de La Chapelle-Saint-Laurent (à la limite de la zone insurgée) (6 E 75/2) à la date du 15 novembre 1793 que quatre habitants de la commune « sont mort tous les quatre ennemis de la patrie et Rebelle aux loix qui ont été défaits et détruit la nuit dernière à une demie heure par les troupes République ». Soulignons les termes « ennemis de la patrie » et « Rebelle aux loix », qui soulignent que le rédacteur (François Niort membre du Conseil Général de la Commune) ne semble guère partisan de la révolte ; nous sommes bien dans une guerre civile…
De même, dans les registres de catholicité de Nueil-les-Aubiers (12 num 34/12) à la date du 9 octobre 1793, un acte nous explique que Pierre Benetreau, meunier, « est mort par la main des républicains ». Et dans ceux d’Étusson (j 2049) découvre-t-on une effrayante « Enumération des personnes d’étusson massacré dans leurs maisons ou aux environs sur le rapport des parents » et qui rappelle qu’en novembre 1793 « ont été massacrés chez eux » angélique Brandi et Marie, Angélique, Renée et Pétronille Richard ses enfants, ainsi que Marie Richard « sa petite fille ». La liste funèbre couvre une page entière…
Particularité intéressante, ce même registre de catholicité d'Étusson est paraphé par l’abbé Bernier, ancien curé de Saint-Laud d’Angers et un des membres les plus influents du Conseil Supérieur des Armées vendéennes.
Les colonnes infernales
Après la défaite vendéenne de la fin de 1793, les célèbres colonnes infernales de Turreau s’abattent sur les villes et villages de la Vendée Militaire entre janvier et mai 1794. Bien sûr, les Deux-Sèvres ne sont pas épargnées et les registres qui ont échappé aux flammes des destructions massives des communes visées sont les témoins des massacres.
Ainsi à Chiché les actes reconstitués (4 E 402/1) nous rappellent que René Roi a été «massacré lors des troubles de la Vendée » le 27 avril 1794. De même les reconstitutions de Faye L’Abesse évoquent Jacques Boche, cultivateur de 60 ans, « décédé au dit lieu de Lauraire de cette commune le dix sept avril mil sept cent quatre vingt quatorze, ayant été assassiné par les armées ».
Mais certains registres sont plus détaillés. Ainsi, une fois la paix rétablie en 1796, les registres de catholicité de Saint-Clémentin (2 E 235/8) dressent une terrible liste :
Le 31 janvier 1794, François Joubert, fut « massacré » au Grand Champ des Touches, mais c’est surtout le 12 mars 1794 que vit s’abattre sur la commune la fureur républicaine. Ce jour-là, Jean Joubert, 76 ans, fut « massacré dans la boutique de sa maison » ; Monique Godin, 20 ans, fut « massacrée par les ennemis de la religion et du genre humain » ; Thérèze Tricoire, 50 ans, fut « massacrée par les bleus (terme désignant les Républicains) » ainsi que Marguerite Jouve, 48 ans, et Pelagie Boileau, 80 ans. Françoise Jousset, elle, fut « massacrée par les ennemis de la religion près du calvaire ».
Les mêmes registres évoquent également un des massacres les plus célèbres de cette époque, celui de la forêt de Vezin en 1794 au travers le décès de Jacquette Bascle, âgée d’environ 46 ans, « massacrée le vingt deux mars mil sept cent quatre vingt quatorze proche la forêt de Vezin avec plus de quatre cent autres par les terroristes ».
Les actions des colonnes infernales se retrouvent également dans les registres de catholicité de Nueil-les Aubiers (12 num 34/12), nous rappelant que cette commune fut attaquée le 14 mars 1794 et dressant une longue liste de victimes : Marie Geneviève David ; François Renaudin, 18 ans ; Pierre Renaudin, 26 ans ; Jean Morin, 34 ans ; Marie Clémenceau, 48 ans, dont le corps fut retrouvé dans le champ de La Bernerie et inhumé sur place ; Marie-Anne Routureau, 50 ans ; Jeanne Thérèze Robreau, 32 ans ; Marie Ménard, 29 ans ; Geneviève David ; Jacques Herisset, 36 ans ; Jeanne Françoise Paineau, 24 ans, Louis Paineau, 36 ans, et son épouse Marie Anne Bouet, avec leurs enfants Marie Anne, 10 ans, Jean-Baptiste, 6 ans, et Marie, 8 ans. Et la petite Marie Anne Rivière, 5 ans ; François Chatin, 7 ans et son petit frère (ou petite sœur) âgé de 3 mois… Ils furent « massacrée par les républicains », « tué par les Républicains », (victime de) « mort violente de la main des républicains », « massacrés par l’armée républicaine »… La plupart, à l’instar de Marie Clémenceau, furent inhumés sur place.
Nueil-les Aubiers est une commune voisine de celle des Aubiers où le même 14 mars 1794, dans les registres de catholicité (12 num 5/9) fut dressée une longue liste de plus de 30 personnes « tués par les ennemis de la religion », majoritairement des femmes et des enfants. Signalons Marie Therese Aumond, 10 ans, tuée chez son grand-père ; Jean Michaud, 40 ans, son épouse Marie Anne Gueri et leurs enfants Jacques, 6 ans, et Anne, 3 ans, tués dans leurs domiciles de La Gannerie ; Jeanne Favreau, 44 ans, épouse de Louis Papin, tuée avec sa famille Marie Jeanne, 21 ans, Marie Thérèse, 17 ans, et Pierre, 10 ans ; Louis Turpeau, 15 ans ; Laurende Cholet, 80 ans ; Jeanne Noé, 80 ans ; Jeanne Pichery, 10 ans ; ou encore Pierre Lhomedé, 4 ans, et sa mère Marie Loiseau, 29 ans, tués le lendemain, 15 mars, « dans la foret » où ils se cachaient probablement… etc.
Les Aubiers fut victime des Colonnes infernales une seconde fois, le 4 mai 1794. Cette fois les registres gardent le souvenir de 19 victimes dont 14 femmes âgées de 24 à 60 ans et 4 enfants : Perrine Charrier, 10 ans ; Marie Magdeleine Mignaud, 7 ans ; Pierre Papin, 10 ans ; et Pierre Ribert, 18 mois… tués « par les E de la R » (Ennemis de la Religion).
De telles traces de massacres importants, dont des familles entières, et majoritairement des femmes, des enfants et des vieillards, se retrouvent également à Étusson (J 2049) en janvier, mars et mai 1794. Tous « massacrés chez eux ».
Contrairement à l’effet souhaité, les actions des colonnes infernales ne poussèrent pas la population à déposer les armes. L’absence des hommes dans les massacres peut probablement s’expliquer par le fait que ces derniers avaient rejoint les insurgés et continuaient à se battre. Le massacre de leurs familles transforma certainement leur engagement en souhait de vengeance. Ainsi les registres témoignent qu’il s’agissait bien d’une guerre civile, mentionnant des victimes des deux camps, parfois avec force détails comme cet acte du 7 janvier 1794 au Breuil-sous-Argenton (2 E 52/4) qui constate que « Pierre Renaudin agé de trente six ans ou environ marchand et demeurant en la commune de Cersais a été trouvé baignant dans son sang sur les sept a huit heure du soir sur le chemin du breuil à argenton. Sans parole. Par le citoyen audebault marechal en cette commune, par le citoyen Gachet compagnon marechal, par Pierre Masseau bordier, et par le citoyen Gatinor journalier tous de cette commune. Le dit officier de police assisté du citoyen Pivoy officier de santé du chirurgien de la troupe pour lors à Argenton, et de la municipalité de la dite commune, ont fait la visite du corps qui venait d’etre apporté chez le citoyen Coquerot aubergiste en la même commune du Breuil par les sus nommés. Il s’est trouvé qu’une bale lui avait entré par le frond et sorti par le crâne et ont justifié que le dit Renaudin était mort et que l’ont pouvait l’enterrer ». À quel camp appartenait le tireur ?
Si la question se pose ici, la réponse est parfois clairement énoncée :
À Noirterre (1 J 272), le 16 juin 1794, Jacques Merceron était « tué par les Républicains ». À Nueil-Les Aubiers (12 num 34/12), Antoine Lacheteau a été « fusillé et sabré par les républicains ».
Dans les registres d'tat civil à Saint-Paul-en Gâtine (2 E 279/5), à la limite de la zone d'insurrection, le 1 Pluviôse an II (20 janvier 1794) Louis Bobin est décédé dans un champ « ou il combattait courageusement contre les rebelles de la Vandée » avec François Forgeat également tué. Dans ceux de Largeasse (12 num 27/11) Dominique Cottanceau était « tué par les ennemis de la République ».
Notons enfin, un des derniers actes évoquant les évènements, à Beaulieu-sous-Bressuire (2 E 28-1) le 29 juillet 1795, date à laquelle Jean Potier est « mort à l’hôpital de Bressuire, âgé d’environ trente trois ans, témoins de sa mort selon la vue de ses proches parents, les Républicains ».
Réfugiés, prisonniers et déserteurs
D’autres victimes du conflit se retrouvent au hasard des pages. Non pas des « massacrés » ou « tués au combats », mais des personnes qui payèrent malgré tout le prix de la guerre.
C’est le cas de Louise Poignant, 26 ans, décédée à Largeasse (12 num 27/11, état civil) le 15 nivôse an III (4 janvier 1795) au lieu-dit La Fosse « où elle était réfugiée pour se soustraire des rebelles ». Ou encore de François Ayrault, âgé de 3 ans, décédé le 14 ventôse an II (4 mars 1794) à Saint-Paul-en-Gâtine (2 E 279/5, registres de décès), fils de Louis Ayrault et de Marie Aubineau « domiciliés dans la commune de Cerizay, et réfugiés dans notre commune de Paul en Gatine ».
Les registres de catholicité d’Étusson (J 2049) témoignent de la présence en cette ville en 1794, de Mr Huët Vicaire de Notre Dame de Chollet (Maine-et-Loire) « à cause de la persécution ».
De même dans les registres de décès de Thouars (183 num 54/46) est mentionné le décès de Guillaume Augeron, tailleur d’habit d’Argenton-le-Peuple (Argenton Château) « et réfugié en cette commune de Thouars natif de Beligné district d’Ancenis département de Loire inférieure ».
Ce sont aussi parfois des prisonniers qui apparaissent dans ces mêmes registres de Thouars comme ce Peneau de Faye L’Abesse, « prisonié de la prison de la porte de poitiers » décédé le 5 nivôse an IV (26 décembre 1795). Ou Pierre Passeteau décédé le 2 fructidor an II (19 août 1794) « venue de la Vendée » et enfermé dans « la maison d’arrest » de la ville. Ou encore Jacques Pinault, décédé le 19 nivôse an II (8 janvier 1794), natif de Beaupreau (Maine-et-Loire), garde verdier de Saint-Martin de Sanzay, « arrêté par le comité révolutionnaire ».
Enfin, toujours à Thouars, comment ne pas mentionner ce cas de désertion ? Jean Millet «déserteur de la cinquième compagnie du deuxième bataillon des Sapeurs » originaire du Cher, « fait prisonnier » et décédé le 27 germinal an III (16 avril 1795) alors qu’officiellement la paix avait été signée à La Jaunaye (près de Nantes) le 17 février 1795 (Paix précaire, ponctuée d’incidents entre les deux camps qui amenèrent à une reprise des armes en juin).
L’hôpital militaire de Thouars
L’intérêt des registres de Thouars est à souligner. Bien qu’attaquée à plusieurs reprises, la ville se situait hors de la zone insurgée et fut une base arrière pour les troupes républicaines qui y cantonnèrent le temps du conflit et y installèrent un hôpital militaire.
Entre mai 1793 et septembre 1796, c’est près de 300 actes de décès de combattants républicains qui sont mentionnés au sein de l’hôpital en question.
Parmi les actes les plus intéressants signalons le décès de « Jean Oswale », le 14 septembre 1793, lieutenant-colonel au 14e bataillon de Paris, selon la déclaration faite par Pierre Herbelin, commissaire des Guerres et le général de division à l’armée des Côtes de La Rochelle Gabriel Rey. Il s’agit en vérité du philosophe et écrivain écossais John Oswald, naturalisé Français en 1792 et remarqué au club des Jacobins à Paris. Nommé commandant du bataillon des piquiers en octobre 1792, il est placé sous les ordres du général Santerre en mars 1793 et s’illustra en Vendée dans les batailles de Vihiers, de Martigné-Briand et fut chargé de la défense de Chinon en août. De retour en Vendée militaire, il est donc tué près de Thouars, probablement (bien que l’acte ne le mentionne pas) à la bataille de Vrines (dite aussi seconde bataille de Thouars) le 14 septembre 1793 qui opposa les troupes du général Rey aux Vendéens du général Lescure.
Cette seconde bataille de Thouars qui coûta la vie à John Oswald, apparaît à travers une longue liste de décès rédigée le 15 septembre 1793 et qui suit immédiatement l’acte Oswald.
Autre acte notable, celui du lieutenant-colonel de la Légion des Francs, Jean Louis Vernange dont la fin est contée par Kléber dans ses mémoires :
(lors de la bataille de Cholet le 17 octobre 1793) « Ainsi se termina cette sanglante et mémorable journée. Douze pièces de canon, dont plusieurs du calibre de 12 demeurèrent au pouvoir des vainqueurs. Les champs et les chemins avoisinant la ville de Cholet furent jonchés de cadavres et les rebelles eurent à regretter la mort de beaucoup de leurs chefs (…) Les rebelles combattaient comme des tigres et nos soldats comme des lions. Intrépidité pour l’attaque, prudence pour la retraite, impétuosité pour repousser l’ennemi, tout fut mis en usage tour à tour, employé à propos, et couronné de succès. On imagine sans peine qu’une bataille aussi sanglante a donné lieu à des traits qui méritent d’être connus. (…) L’intrépide Targe reçoit une balle qui lui traverse le bras et qui lui entre dans le corps ; il vient à moi et, sans parler de ses douleurs, m’annonce que la victoire est à nous. Au même instant, j’aperçois Vernange, qu’on porte également de mon côté, atteint d’un coup mortel ; il vient me faire ses adieux et crier avec moi : Vive la République ! » (Kléber en Vendée (1793-1794)/documents publiés, pour la Société d’histoire contemporaine, par H. Baguenier-Desormeaux – Paris, 1907)
En vérité, Vernange est donc décédé quelques jours plus tard, le 31 octobre, à l’hôpital militaire de Thouars…
Notons également le décès de François Legoff, de Vannes (Morbihan) décédé le 1er pluviôse an IV (21 janvier 1796), « commissaire des guerres » ; ou encore Louis Durivault, le 16 pluviôse an II (4 février 1794), de « l’armée de Westerman » (le général François Joseph Westerman).
Ou encore Guillaume Gilbert Caillot, « officier de santé à l’armée de l’Ouest » décédé accidentellement le 25 thermidor an IV (12 août 1796), noyé dans la rivière du Thouet et dont l’acte de décès couvre 4 pages d’enquête sur les circonstances de la mort de cet officier « âgé d’environ trante ans cheveux noire, taille d’environ cinq pied trois pouce visage marqué de petites verrol le dit cadavre nid couvert seulement que d’un mouchoir aux bas ventre » « a quelques distance de la nous y avons trouvé les vetements et effets cy après détaillé, premièrement une paire de guetre bouton jaune et ivoire une très mauvaise perre de soulliers un mouchoir de col en taille blanche une chemise très courte taille (?) à manche arrondi très usée un chapeaux à trois cornes en cuir avec large cocarde tricolor, gance (?) faux argant, une grande culotte non doublée en etoffe jaune aveque bouton en etain, sans goussets, une veste dont les devan sont d’une etoffe font rouge mouchetté et piqué en noir bouton à la République doublée en toille blanche ainsi que les derrière Examain fait des poches ne si este trouvé quatre petis couteaux dont un à manche divoire avec tirbouchon… ». Les témoins nous expliquent également que Guillaume Caillot a disparu dans la rivière alors qu’il tentait, par défi, de la traverser.
Ce décès lors d’une « simple baignade » nous rappelle que bien que la région ait été la proie d’une des pires pages de notre histoire, la vie quotidienne continuait même si parfois un moment de détente au bord d’une rivière pouvait se transformer en drame. D’autres actes nous en font la démonstration…
La vie continue
Ainsi, dans les registres d'état civil de Thouars (65 num 54/46), un acte du 24 frimaire an II (14 décembre 1793) explique que « le citoyen françois Duprat adjudant major du sixième bataillon de la Vienne ; en station audit Thouars (…) déclare que la nommée Théreze Duprat fille dudit françois Duprat et de Archange Guilbaud, était née le vingt un de ce moisn dont la naissance n’a point été constatée parceque ledit Citoyen duprat était absent, et que cette meme fille à laquelle il a été donné le prénom de Thereze était décédée en cette nuit environ minuit, en la maison de Jean Briand Maçon en cette commune ». D’autres actes de Thouars témoignent que les familles des soldats républicains suivaient l’armée. Comme ce 26 floréal an III, date à laquelle décède « Olimpe Primiery » (?), agée de 8 mois, fille de « André Etienne Primiery capitaine de la septième compagnie du deux(ieme) Bataillon ds gravilliers actuellement dans l’armée des pirennées ».
Le 9 messidor an II (27 juin 1794) Marie Rose Roy « femme de jacques Barillet Sergent de la cinquième compagnie du Bataillon de Chinon, demeurant en cette dite commune, était péris dans la rivière au lieu appelé Le grand gué size à la basse ville ».
Mais au détour d’un acte de ce registre des décès, il est également possible d’envisager qu’entre les soldats et la population locale des liens plus intimes peuvent se créer. Ainsi le l6 brumaire an IV (7 novembre 1795) « a comparu Jeanne Jarnier Vve andré Bial domicillier en cette commune, Laquele ma déclaré que Jeanne Bial sa fille et femme en legitime mariage de gabriel David Viard du onzieme regiment dusard (de Hussard) est accouchée en sa maison cejourd’huy à trois heures du matin d’un enfant femelle lequel à l’instant de sa naissance est décédée » (le mariage a été célébré à Thouars le 18 floreal an III [7 mai 1795] soit… 6 mois avant la naissance. À moins d’un accouchement prématuré, on en devine la raison…).
Les registres de mariage sur la républicaine ville de Thouars, à cette époque (12 num 54/42) recèlent d’ailleurs plusieurs unions entre un soldat venu de loin et une jeune thouarsaise.
Un crime entre soldats
La vie quotidienne, à l’arrière des combats, n’était pas forcément toujours composée de mariages ou de naissances. Des conflits plus personnels entre soldats pouvaient également éclater. Comme ce 30 messidor an II (18 juillet 1794) où l’on découvre le cadavre de Nicolas Malet de Versailles « caporal de la deux(ieme) compagnie du quatrième bataillon de la République ». Après examen du corps par des officiers de santé de l’hôpital militaire, une « plais transversale au cols droit, a gauche dans le trajet de la dite plais, ils ont appercu la jugulaire et la carotique interne du même coté était ouverte. Laquelle plais et ouvertue du vaisseau leur ont parues avoir été faite par une instrument tranchant et ils ont jugé que cétait la cause de la mort ». Une enquête est menée dont le compte rendu complète l’acte : « La citoyenne anne piault Ve Boilaine demeurant en cette commune qui aprest serment par elle fait de dire la vérité, a déposé avoir eu connaissance que deux soldats dont un chasseur, et l’autre caporal en uniforme bleu, onts passé environt quatre heure de laprès midi de ce dit jour devant sa porte et ont descendu dans la basse ville, qu’un instant après etant dant son jardin elle a entendu la voix d’un homme qu’elle ne pouvait voir, rapport à la hauteur du mure du jardin (…), dire Cela ne doit pas estre à moy à moy. Et que sure le champ elle a appercu le chasseure remonter la ville » (12 num 54/46).
L’acte ne précise pas ce qu’il advint du Chasseur en question…
Quels bataillons ?
Mais l’intérêt de ces registres de Thouars, en particulier les actes constatant les décès à l’hôpital militaire entre 1793 et l’an IV (12 num 54/46), est aussi de pouvoir dresser une liste, certes non exhaustive, de bataillons envoyés en Vendée militaire.
Ainsi sur cette période, les bataillons les plus représentés dans les actes de décès sont ceux de volontaires de la Vienne (1er, 4e, 5e, 6e, 7e et 8e) ; puis de Paris (2e des Gravilliers, 3e, 8e, 10e, 12e, 14e) et les 1er et 6e bataillons de Chinon… Et de façons plus anecdotiques : le 7e régiment de hussards, le 14e bataillon de la Sarthe, le 6e Bataillon des Chasseurs du Nord, l’armée de Mayence, le 4e bataillon du Puy-de-Dôme, le 2e bataillon d’Indre-et-Loire, le bataillon du Lot-et-Garonne, le 1e bataillon de Thouars…
Le graphique ci-dessous nous montre la répartition des actes de décès à l'hôpital militaire de Thouars entre mai 1793 et fructidor an IV (septembre 1796).
Si les causes des décès sont très rarement notées (des cas de fièvre à signaler durant l’automne 1795…), néanmoins le pic important entre septembre 1793 et nivôse an II (janvier 1794) souligne l’intensification des combats dont le point d’orgue fut la défaite vendéenne de Cholet en octobre et la Virée outre-Loire jusqu’à la destruction à Savenay en décembre. La légère reprise entre Messidor an II (juillet 1794) et Messidor an III (juillet 1795) s’explique par la reprise des armes d’une population meurtrie, et le retour des survivants d’outre-Loire qui réorganisent l’armée vendéenne qui peut à nouveau s’opposer aux troupes républicaines.
Mais ce petit aperçu des pertes républicaines ne peut faire oublier le lourd tribut payé par la population des Deux-Sèvres. Jacques Hussenet dans son étude statistique évalue le nombre de victimes dans les Deux-Sèvres à 24 000 personnes au minimum, 32 000 au maximum (y compris les « Bleus » du cru), soit en moyenne un habitant sur 5 (Jacques Hussenet – La Guerre de Vendée : Combien de morts ? Le bilan des Deux-Sèvres – Recherches Vendéennes n° 4 – Société d’Émulation de la Vendée, Centre Vendéen de Recherches historiques, 1997).
L’exemple de Nueil-Les Aubiers
En nous basant sur les registres de Nueil-les Aubiers, un de ceux conservant le plus de témoignages, nous pouvons dresser les constats suivants concernant les causes des décès sur l’unique année 1794 :
Tués : 63 % - Mort de maladie : 31 % - Mort au combat : 5 % - Causes non notées : 1 % et 55 % des décès concernaient des femmes.
Enfin, illustrant les difficiles conditions de cette année 1794, notons que 45 % des personnes décédées de maladie avaient moins de 10 ans.
Quant à la répartition par tranche d’âge des tués (au combat ou assassinés), elle met en avant celle des 19-50 ans.
Des décès qui, en cette année des colonnes infernales, se concentrent, sans surprise, entre les mois de février et juin, période où sévissaient précisément ces colonnes. Leurs passages en mars et en mai sont particulièrement visibles.
En conclusion
Cet article n’a pas la prétention d’être une étude complète sur les conséquences des Guerres de Vendée en Deux-Sèvres. Des registres restent à étudier (en particulier les registres de catholicités non mis en ligne sur le site des Archives départementales car n'étant pas en leur possession), et il conviendrait de compléter par les registres de grandes villes comme Niort où furent déportés de nombreux insurgés. Nous espérons seulement qu’il vous a donné malgré tout un petit aperçu de l’impact de ce conflit dans le nord de ce département tout en soulignant qu'entre "ennemis de la Religion" et "ennemis de la République", si la guerre se jouait parfois avec des armes, elle transparaissait aussi à travers les mots et les registres gardent la trace des deux.
תגובות